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concassé, reconcassé, pulvérisé sous la dent d’assourdissantes broyeuses, puis rôti dans des fours chauffés à blanc, enfin, selon le vieux système perfectionné, soumis au mercure des cuves tournantes. Mais au travail de l’amalgamation je préfère celui de la fondition, plus pittoresque. Il s’exerce sur les minerais pauvres. On les casse suivant la grandeur qu’on désire, et on les précipite, mêlés avec du plomb, dans des fourneaux incandescens. L’argent et le plomb s’allient, se déposent au fond et ne s’en écoulent qu’environ toutes les huit heures. Seulement, de dix en dix minutes, il faut débonder la fournaise et livrer passage à l’impatience des pierres fondues en lave. Délicate opération. On roule devant l’ouverture un wagonnet, qui a la forme d’un cône renversé. Un homme s’avance, armé d’une longue barre de fer, et s’acharne, tout en restant à distance, contre le bouchon de terre glaise. L’argile cède : quelque chose de rouge apparaît, qui semble hésiter une seconde, puis, au milieu d’un éclaboussement d’étincelles un jet de flammes s’échappe, suivi d’un flot cramoisi, qui se déverse dans le récipient. On dirait le tonneau de Leipsig sous le foret de Méphisto. En un clin d’œil le wagonnet est rempli jusqu’aux bords de cette pourpre vive qui, sitôt qu’elle ne ruisselle plus, devient incarnadine et bientôt d’une éclatante pâleur. Il s’agit alors de reboucher le trou, ce qu’on fait avec une bonde de glaise, appliquée lestement. Les hommes chargés de cette besogne ont tous les mains tachetées de brûlures et les vêtemens roussis. L’ombre du soir exagère l’effet de ces torrens de feu et leur prête un caractère prodigieux et surnaturel. Au bout de deux heures, le wagonnet commence à se refroidir et va rejeter son contenu sur des remblais. Pendant que je contemplais ce spectacle, les péons, en guise de lunch, cassaient une croûte et faisaient chauffer leur thé sur ces laves ardentes.

Je me promenais depuis quatre heures dans Playa-Blanca et je n’avais pas encore vu d’argent, de bel argent. Je priai mon guide, M Ker Bernard, de m’en montrer. C’est quelquefois plus malaisé qu’on ne le pense : ces usines ne fondent leurs barres que la veille ou l’avant-veille de l’embarquement. Il me mena sous un vaste hangar, devant une sorte de guérite en briques, dont la simple porte de bois n’avait d’autre serrure qu’une serrure ordinaire.

— Voilà le coffre-fort, me dit-il.

— Il ne serait guère difficile de le forcer : ne craignez-vous rien ?

— Absolument rien. Nos ouvriers grappillent volontiers, ils ne volent pas. Et puis ils ont le respect des serrures.

Je distinguai dans un coin de cette hutte cinq ou six masses