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Thèbes et à Mégalopolis, et, d’autre part, les deux déesses nous y apparaissent sous des formes multiples, caractérisées par des appellations différentes, qui ont donné naissance, dans la mythologie grecque, à autant de divinités distinctes.

Chose curieuse, les préjugés classiques sont si forts qu’il faut lutter pour faire admettre une chose qui était connue de tous les Grecs. « On voit à Thèbes, dit Pausanias, des statues en bois d’Aphrodite tellement anciennes, qu’on prétend qu’Harmonie les a dédiées ; elle les fit faire, dit-on, avec les ornemens de bois qui étaient au haut de la proue de Cadmus. De ces Vénus, la première se nomme Uranie, la seconde Pandêmos, la troisième Apostrophia. » Traduisez en notre langage le style figuré de la mythologie, cela veut dire que les trois déesses étaient les divinités que les marins phéniciens mettaient à la proue de leurs navires ; ou plutôt, c’était la même déesse sous ses trois aspects différens. On retrouve cette triple Aphrodite à Mégalopolis en Arcadie, non loin d’une vieille statue de Baal Hammon, comme à Thèbes, adorée sous les vocables d’Uranie et de Pandêmos ; la troisième n’avait pas de surnom. A Elis, la célèbre Aphrodite au bouc du sculpteur Scopas, l’image classique de la Pandêmos, était érigée, non dans un temple à part, mais dans l’enceinte sacrée, dans le temenos qui dépendait du temple d’Aphrodite-Uranie. Uranie est la reine des cieux, à laquelle les enfans d’Israël faisaient des encensemens, et si le nom de Pandêmos est moins facile à expliquer, le titre d’Apostrophia nous rappelle le mythe assyrien du retour d’Istar des enfers, juxtaposant ainsi la forme céleste et la forme infernale de la grande déesse.

On voit combien cette Vénus primitive diffère du type classique qui a fait de la Vénus grecque l’expression la plus parfaite de la beauté idéale. La Vénus orientale, c’est la déesse féconde qui tient ses seins dans ses deux mains et découvre sa nudité. C’est sur les côtes de la Grèce que le mythe de Vénus sortant de l’œuf du monde a donné naissance à la gracieuse légende de Vénus naissant de l’écume des flots. C’est là que les bras de la déesse se sont détachés de son corps pour tordre sa blonde chevelure et qu’elle a reçu le nom d’Aphrodite ; mais le nom même d’Aphrodite n’est, comme celui d’Amphitrite, qu’une altération du nom d’Astoret, devenu Aphtoret, et traité de deux façons différentes par l’imagination créatrice des Grecs.

Cette triple déesse, à la fois vierge et mère, qui est tantôt aux cieux et tantôt aux enfers, offre une singulière ressemblance avec Déméter, la grande mère, que les anciens confondaient avec Cybèle, et que les aventures de Koré sa fille rattachent au monde infernal. Déméter est la déesse souveraine de l’Arcadie, ce coin