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à un milliard et soixante millions de francs. Elle se rapprochera en 1896 de douze cents millions, et il n’est pas invraisemblable que, pour une longue période, elle se maintienne à ce niveau et peut-être le dépasse. La consommation industrielle de l’or est tout au plus de deux à trois cents millions. C’est donc près d’un milliard, peut-être davantage, qui va s’ajouter chaque année au stock monétaire d’or du monde. Avant que le premier quart du XXe siècle soit écoulé, ce stock, évalué aujourd’hui à une vingtaine de milliards, s’élèvera à quarante ou cinquante milliards de francs. Si l’on songe au volume d’affaires que l’Angleterre règle avec l’approvisionnement que nous avons rappelé tout à l’heure, il n’est pas téméraire de conclure que cinquante milliards suffiront aux transactions du genre humain, d’autant plus que, selon toute probabilité, la tendance actuelle, qui est de substituer, comme nous l’avons expliqué, le billet au métal, le chèque et le mandat au billet, et la simple compensation en compte courant chez le banquier à tout autre mode de paiement, ne fera que s’accentuer. Mais en admettant même qu’il faille cent milliards d’or pour organiser sur une base uniforme les systèmes monétaires de toutes les nations, on peut conjecturer que, vers le milieu du siècle prochain, cette quantité aura été produite.

Déjà les Américains, dont la vue perce l’avenir, se préoccupent de l’organisation des comptes dans les banques et des viremens de ces banques entre elles plus encore que de l’émission des billets : c’est ce que déclarait à mes élèves de l’Ecole des sciences politiques un de mes collègues transatlantiques, professeur dans l’une des grandes universités de là-bas : il assistait à mon cours, un jour où je définissais le billet de banque, et fit sur ma demande un bref exposé des idées essentielles sur la matière des économistes ses compatriotes : il insista sur ce fait que déjà maintenant ils relèguent au second plan la monnaie proprement dite comme moyen de régler les transactions. Aussi est-il étrange d’assister à une campagne argentiste endiablée précisément dans un pays où certains penseurs ont déjà la perception claire de la prochaine étape du développement économique de l’humanité. La rage avec laquelle les partisans de Bryan réclamaient l’accroissement énorme du stock monétaire des Etats-Unis, qui résulterait de la libre frappe de l’argent, ne peut s’expliquer que par une méconnaissance absolue des véritables principes sur lesquels repose la monnaie et sur une idée aussi fausse qu’exagérée de son pouvoir. Une simple réflexion à cet égard fera toucher du doigt la grossièreté de l’erreur dans laquelle tombent ceux qui croient que le moyen le plus efficace d’améliorer la situation d’un peuple est d’accroître sa richesse métallique. Concevons pour un instant