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assurés ont été contractés en or, déclarèrent qu’elles ne se croient pas en mesure de les acquitter dans cette monnaie, si la législation argentiste est votée. Et cependant parmi leurs dix millions d’assurés, auxquels elles paient annuellement plus de 800 millions de francs, que de veuves et d’orphelins intéressans, à qui un changement de législation monétaire causerait ainsi le plus grave préjudice ! Au Canada, les monnaies d’argent des Etats-Unis, dollars, demi-dollars, quarts de dollar, pièces de dix cents, qui y circulaient jusqu’ici aussi aisément que la monnaie nationale, commençaient à y être refusées. Ces divers indices durent faire réfléchir le peuple américain, dont le bon sens s’est rarement refusé à reconnaître l’évidence des faits et vient de se manifester avec un incomparable éclat.


V

Ce que l’humanité devrait commencer à comprendre et ce qu’elle comprendra dans les siècles à venir, plus vite même peut-être qu’on ne se l’imagine, c’est le peu de valeur intrinsèque de la monnaie métallique par rapport aux autres richesses. Les métaux ont rendu des services considérables à la civilisation en permettant aux sociétés humaines de s’assimiler la notion de l’équivalence des différens produits sous une forme simple. Grâce à eux, le troc direct d’une marchandise contre l’autre a fait place à l’échange de chaque marchandise contre une certaine quantité de métal, laquelle à son tour sert à acquérir telle autre marchandise dont le vendeur de la première a besoin. Il a été fort naturel que les hommes attribuassent la valeur maximum à ce qui devenait ainsi l’instrument d’échange par excellence. Puisque avec le métal on pouvait tout acheter, l’homme qui détenait le métal avait la richesse la plus enviée de toutes, celle qui frappait l’imagination de la foule. L’âme populaire se représente encore un Crésus sous les espèces d’un potentat assis sur des sacs d’or.

Mais le progrès de l’esprit d’analyse tendra à diminuer de plus en plus le rôle des espèces métalliques dans le monde. Déjà aujourd’hui l’Angleterre donne l’exemple de la nation qui a le commerce international le plus considérable, puisque la somme de ses importations et exportations approche de vingt milliards de francs, et qui fait ses affaires aussi bien intérieures qu’extérieures avec un petit approvisionnement métallique de deux à trois milliards de francs, inférieur à celui de la France, des Etats-Unis et bientôt de la Russie. Plus une société est civilisée et moins on y constate, aux mains des individus, de ces accumulations de numéraire que les particuliers affectionnaient jadis. Ce n’est plus que