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libératoire, par rapport au dollar actuel. Celui-ci, sous toutes ses formes, a été maintenu jusqu’à l’heure actuelle à la parité du dollar or. Le Trésor américain, suivant en cela une politique immuable depuis un quart de siècle, ne cesse de délivrer de l’or directement ou indirectement à tous les porteurs de billets, que ceux-ci émanent des banques nationales ou du gouvernement, qu’ils soient des certificats d’argent, ou des greenbacks créés lors de la guerre de sécession. Mais à la minute où la libre frappe de l’argent serait décrétée, le maintien de cette politique deviendrait impossible, à moins que le rêve des argentistes ne se réalise et que le seul fait de l’ouverture des hôtels des monnaies américaines au métal blanc en double instantanément la valeur et rétablisse du jour au lendemain le rapport de seize à un. En admettant que cette demande soudaine d’argent cause une hausse sérieuse du métal, il est peu probable qu’elle atteigne cette amplitude. Si le cours de l’once, qui est aujourd’hui à New-York aux environs de 68 cents, s’élève à un dollar, le rapport entre les deux métaux serait d’environ vingt-trois à un, c’est-à-dire que la prime de l’or serait de 25 pour 100. Il n’est personne, pouvant de par la loi s’acquitter en argent, qui consente alors de gaieté de cœur à aggraver d’un quart le fardeau de ses obligations.

Il n’en va pas de même des contrats stipulés en or. Bien que le programme démocrate de Chicago déclare que de tels contrats doivent être interdits comme contraires au bon ordre public, il n’est pas à supposer qu’on tente de donner à la loi un effet rétroactif. Les débiteurs d’or souffriraient donc aussi longtemps que leurs obligations n’auraient pas été éteintes. D’autre part la loi serait impuissante à empêcher, même dans l’avenir, les contrats en or. Au lieu de stipuler le paiement des intérêts et du capital en dollars, le créancier ferait reconnaître son droit à tant de grammes d’or fin. Beaucoup de conventions de ce genre sont déjà en vigueur aux Etats-Unis. Aucune législation ne pouvant prohiber cet échange d’une marchandise contre une autre, l’étalon d’or se trouverait rétabli pour toutes les transactions réglées par ce détour.

A mesure que la campagne argentiste devenait plus violente, la méfiance se répandait et les avertissemens se faisaient entendre de divers côtés. Sans parler de la dépression générale des affaires, sur les véritables motifs de laquelle il est toujours possible de discuter à l’infini, des indices plus précis montrèrent bien que c’est la crainte d’une dépréciation de l’étalon américain qui amena la plupart des troubles économiques du printemps et de l’été de 1896. Les grandes compagnies d’assurances sur la vie, tout en reconnaissant loyalement que leurs engagemens vis-à-vis de leurs