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d’un dividende, ils n’auront aucune réclamation à élever contre les gérans de l’affaire ; mais les obligataires sont dans une situation différente : ils sont des créanciers, en droit d’exiger l’accomplissement des engagemens pris vis-à-vis d’eux. Beaucoup d’obligations de chemins de fer américains sont payables en dollars d’or. En supposant que le dollar d’argent devienne l’unité monétaire américaine, c’est en dollars d’argent que les compagnies encaisseront leurs recettes, tout en ayant à remettre à leurs obligataires la même quantité de dollars d’or qu’auparavant. Cette nécessité équivaudrait pour plusieurs d’entre elles à la faillite ; il en serait de même pour d’autres entreprises placées dans la même situation, c’est-à-dire liées par des contrats antérieurs qui ont fixé la nature de la monnaie seule susceptible de résoudre leurs obligations.

Elles trouveraient peut-être une certaine compensation dans un relèvement de leurs tarifs ; mais il en est un peu de ceux-ci comme des salaires. Un brusque changement est difficile, et soulèverait d’ailleurs bien des oppositions. D’autre part la concurrence est âpre entre les divers réseaux américains, et ceux qui n’ont pas de dette en or se trouveraient, par ce seul fait, jouir d’un avantage marqué sur leurs rivaux. Ce que ces derniers pourraient espérer de mieux serait d’accroître leurs recettes de façon à équilibrer en partie l’augmentation de charges que nous venons d’expliquer. Dans la République Argentine, où plusieurs compagnies de chemins de fer avaient contracté des emprunts en or à l’étranger, le gouvernement, après avoir établi le cours forcé qui a brusquement triplé les charges des compagnies, ne leur a pas permis d’élever leurs tarifs au niveau nécessaire pour faire face à leurs obligations : elles ont dû demander des concordats à leurs créanciers. C’est le jeu de la libre concurrence qui aux Etats-Unis s’opposerait à une élévation semblable, au détriment des entreprises dont la marge de recettes n’est pas assez grande pour leur permettre d’affronter une crise comme celle dont le programme argentiste menace le pays.

Mais le mal ne se bornerait pas là : l’avenir serait lui aussi compromis. L’Amérique se mettrait de gaieté de cœur dans la situation inférieure où se trouvent les pays dont l’étalon est déprécié et qui, pour obtenir du crédit à l’étranger, ont dû contracter leurs obligations vis-à-vis de leurs créanciers, non pas en monnaie nationale, mais en or, ou, ce qui revient au même, dans la monnaie du pays prêteur, lorsque celui-ci vit sous le régime de l’étalon d’or. C’est ainsi que l’Espagne, le Portugal, l’Italie, la plupart des républiques de l’Amérique du Sud ont émis sur les marchés de Paris et de Londres des rentes dont les intérêts et le capital