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Chicago 1 600 000, nous mesurons à la fois le chemin parcouru et l’horizon qui reste ouvert. Il n’était pas hors de propos de citer ces quelques chiffres, qui rappelleront aux plus incrédules de quel poids les destinées de l’Amérique doivent peser dans celles du monde économique moderne. Grande est la force de cette nation. Mais les tempéramens vigoureux sont ceux chez qui la maladie se déclare parfois avec le plus de violence : la dernière crise en est une preuve.


II

Que se serait-il passé si un président favorable au libre monnayage de l’argent avait été élu, et que la majorité du Congrès fût également acquise à cette mesure ? Bien qu’aucun pays européen n’ait eu le courage d’affronter un pareil danger, les démocrates américains ont déclaré dans leur plate-forme qu’ils se sentaient de force à se passer du reste du monde. Jusqu’ici les gouvernemens qui se sont déclarés en principe pour le bimétallisme ont eu soin de proclamer que rien n’était possible sans une entente internationale : la convention de Chicago leur a répondu qu’elle n’attendait l’aide ni le consentement d’aucune autre nation. Supposons donc qu’une loi ouvre les hôtels des monnaies des Etats-Unis à la libre frappe de l’argent dans le rapport de seize à un, le fameux sixteen to one, dont les échos des Montagnes Rocheuses, des vallées du Mississipi et du Missouri retentissent depuis de longs mois. Malgré l’imperturbable confiance qu’affectent les argentistes dans le rétablissement immédiat de ce rapport sur les marchés du monde, où il est aujourd’hui d’environ trente à un, il est à supposer qu’ils établiraient un droit d’entrée élevé sur l’argent : de cette façon, le bénéfice plein de la législation nouvelle serait réservé au métal extrait des mines américaines, et l’intensité de la crise réduite dans la mesure même de cette protection. Il est vrai que le nombre de mines argentifères aux Etats-Unis est tel que la production indigène prendra aussitôt des proportions énormes ; il ne sera pas nécessaire de mettre les prospecteurs en campagne et de courir à la recherche de nouveaux gisemens ; il suffira de rouvrir d’anciennes mines parfaitement connues et qui travailleront avec bénéfice lorsque l’argent sera pris par les hôtels de monnaies à 129 cents l’once, tandis qu’au cours actuel d’environ 08 cents, ces mines ne couvrent pas leurs frais d’exploitation.

Il est difficile d’assigner un chiffre à cette production ainsi stimulée et de prévoir à quel montant serait portée l’extraction annuelle, qui est en ce moment d’environ 50 millions d’onces, valant au cours du jour à peu près 175 millions de francs ; mais