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Que faire aujourd’hui ? Le moment est passé de discourir comparativement sur les mérites du protectorat ou de l’annexion. On connaît notre sentiment sur le protectorat : nous aurions pourtant compris qu’on lui préférât l’annexion. Aucune complication sérieuse n’était à craindre, de ce chef, avec les puissances étrangères ; on s’exposait seulement à des difficultés intérieures très nombreuses, très onéreuses, mais qui n’étaient pas insurmontables, à condition qu’on les regardât en face et qu’on prît les mesures nécessaires pour y pouvoir. Si on ne voulait pas se servir du gouvernement malgache, il fallait évidemment augmenter notre corps d’occupation, afin de briser toutes les résistances et de s’emparer militairement de tout le pays. Il fallait faire marcher derrière l’armée toute une troupe de fonctionnaires français. C’est ainsi que, traditionnellement, nous avons compris et pratiqué la colonisation ; une nouvelle expérience du même genre ne nous aurait pas beaucoup changés ; elle aurait montré seulement que nous n’avions rien appris, et tout oublié. Mais on a fait encore pis ! Un a accumulé les inconvéniens de tous les systèmes, sous prétexte d’en réunir tous les avantages. De l’administration malgache, il ne reste aujourd’hui absolument rien. L’instrument est irrémédiablement détruit. Le protectorat, quand même on voudrait y revenir, est impossible. C’est sans doute ce qu’a compris M. Hanotaux lorsque, à sa rentrée au ministère des affaires étrangères, il a trouvé les choses si profondément changées. Partisan du protectorat, il s’est aperçu que les élémens n’en existaient plus, et qu’ils ne pouvaient plus reprendre vie. Ce qui est mort est mort. Nous en étions réduits à faire de l’annexion, c’est-à-dire du gouvernement direct, et pour cela le ministère des colonies était indiqué : il s’y connaît !

Mais, avant tout, il faut faire de la conquête. L’insurrection est partout : bon gré, mal gré, nous sommes condamnés aux expéditions militaires. On a perdu le bénéfice de la chance heureuse, qui, à notre entrée à Tananarive, nous avait fait trouver le gouvernement malgache à peu près intact. Nous pouvions alors tirer un grand parti de lui ; nous ne pouvons plus aujourd’hui en tirer aucun. On a donc très bien fait d’envoyer un général à Madagascar et de l’investir de tous les pouvoirs. Le général Gallieni est arrivé à Tananarive sans accident ; c’est encore une chance, peut-être la dernière. Tout ce qu’on peut lui demander, pour le moment, est de maintenir, ou plutôt de rétablir la sécurité des communications avec Tamatave, c’est-à-dire avec la mer. Il serait désirable aussi de la maintenir par Majunga, mais c’est peut-être difficile. La route tracée sommairement par notre colonne expéditionnaire s’efface tous les jours ; il n’en reste pas grand’chose aujourd’hui. Enfin, nous entrons dans la saison des pluies ; nous sommes donc condamnés à l’immobilité. Les insurgés le sont aussi, mais dans une proportion moindre, car ils sont chez eux. La mauvaise saison