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qu’à la tête de l’administration, il y avait toujours le gouvernement de la reine dont le prestige subsistait encore et se communiquait, sans atténuation trop appréciable, aux gouverneurs et aux sous-gouverneurs. Il y a eu pourtant, dès ces premiers jours, quelques soulèvemens partiels ; mais ils ont été rapidement réprimés, et le mal ne s’est pas généralisé. On a pu concevoir comme possible la réalisation des idées qui avaient présidé à l’entreprise. Le protectorat prenait forme. Il était économique. Un assez petit nombre de fonctionnaires français semblaient devoir y suffire, et d’ailleurs le traité, par une clause d’autant plus sage qu’elle pouvait nous servir de modérateur et de frein, décidait que les dépenses du protectorat seraient nécessairement couvertes par les revenus de l’île.

Si cette première période s’était prolongée quelque temps encore, nous aurions certainement recueilli de grands avantages de la méthode qui y présidait ; mais elle a été brève, et il a même fallu à ceux qui en ont été les représentans un courage moral et une impassibilité remarquables pour la prolonger jusqu’à l’arrivée de M. Laroche. Ils savaient, en effet, que le premier traité était désavoué par le monde officiel, et que les idées de gouvernement direct, se substituant à celles d’où dérivait le protectorat, avaient fait un pas considérable dans l’esprit des hommes qui venaient de prendre le pouvoir. Le malheur est qu’ils n’étaient pas seuls à le savoir. Le Malgache, le Hova surtout, est beaucoup plus éclairé qu’on ne le suppose généralement en Europe. Les missionnaires protestans et catholiques qui se sont répandus dans une partie considérable de l’île, mais particulièrement dans l’Émyrne, ont donné l’instruction primaire à plusieurs générations déjà. Le Hova est grand lecteur de journaux, grand commentateur de nouvelles, et s’il a l’esprit très ouvert à toutes sortes de superstitions qui sont pour lui un héritage atavique, il ne l’a pas moins aux réalités quotidiennes. Il n’a pas tardé à comprendre que le gouvernement de la reine n’existerait plus bientôt que pour la forme. Les petits et les grands gouverneurs dont l’autorité était ouvertement méconnue, bafouée, subalternisée sur certains points de l’île, n’étaient déjà plus rien. Ces formes extérieures, dont l’observation et le respect étaient pour eux une garantie, tendaient de plus en plus à disparaître ; et alors toutes les terreurs qu’on s’était efforcé de leur inculquer depuis plusieurs années, et que les méthodistes anglais avaient très imprudemment propagées chez eux, ont pris sur leur imagination impressionnable un ascendant nouveau. On leur avait dit que les Français ne respecteraient pas leur religion, qui consiste presque tout entière dans le culte des morts et dans la vénération des tombeaux. On leur avait dit que, toujours avides de conquêtes nouvelles, les Français leur imposeraient le service militaire et les entraîneraient dans des expéditions sans fin en vue de s’emparer de l’île tout entière. On leur avait dit surtout que les Français