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Les Bienfaiteurs, donc, sont encore une comédie didactique, que viennent par bonheur réchauffer l’ardeur du bien, l’observation et la satire. Cela commence — et cela se développe — à la façon d’un conte moral. « Un « roi de l’or », tombé de la lune, met ses millions à la disposition de l’ingénieur Landrecy et de sa femme Pauline et leur permet de tenter la réalisation de leurs rêves de « charité », — une charité qu’ils ont le tort de confondre avec les diverses formes de l’aumône. Je ne sais pas comment on a pu dire que l’idée de la pièce était obscure ou incertaine. L’œuvre tout entière tend à démontrer l’inefficacité de la « charité » administrative, mondaine et patronale, et les inconvéniens qu’elle a, soit pour les bienfaiteurs, soit pour les secourus. C’est une suite de tableaux dont chacun prouve un point de la thèse. Tel morceau nous montre successivement : 1° la vanité, 2° la prétention, 3° le manque de discernement, 4° l’étourderie, 5° l’hypocrisie, 6° les rivalités, etc., des dames qui tracassent et jacassent dans les « œuvres » ; tel autre, la morgue, la dureté et la glace du « bienfaiteur » qui se méfie et qu’on ne met pas dedans, et ainsi de suite ; bref les bienfaiteurs et les bienfaitrices corrompus par la manière dont ils exercent la « charité ». Et d’autres tableaux nous exposent, parallèlement, la corruption des secourus par la manière dont la « charité » est exercée envers eux ; leur hostilité et leur envie augmentées par ce qu’ils sentent d’affreuse condescendance chez leurs bienfaiteurs ; et comment cette charité-là, préoccupée d’infortunes pittoresques (« filles repenties », « galériens régénérés »), va nécessairement aux paresseux, aux vicieux, aux menteurs, aux ivrognes, et oublie les indigens honnêtes et laborieux… Le résultat, c’est qu’une pauvresse se suicide avec ses trois enfans, pendant que la charité administrative de Pauline nourrit et abreuve des fripouilles et des farceuses ; et que, en dépit des salaires élevés, et des écoles, des pharmacies, des orphelinats et des caisses de secours, les ouvriers de Landrecy, exigeant toujours plus à mesure qu’on leur accorde davantage, se mettent en grève… Et le « roi de l’or », témoin de la double expérience, ricane dans sa barbe.

L’exécution est, à mon avis, très mêlée, très inégale. Il y a des séries de scènes qui ne semblent point parties de la même main ; les unes venues d’un jet, toutes vivantes, probantes comme la réalité même ; les autres artificielles, « faites exprès », comme des tableaux laborieusement arrangés par un prédicateur.

Les scènes vivantes, c’est celle où la gourgandine Clara fait comprendre à la pauvre honnête Catherine, — qu’on ne secourt pas, puisqu’elle travaille ! — l’avantage qu’il y a, dans l’espèce, à être fille-mère et batteuse de pavé ; celle aussi où le « régénéré » Féchain confesse qu’il n’a jamais été en prison, et qu’il s’est paré du dossier judiciaire d’un camarade pour obtenir les faveurs réservées aux anciens forçats ; celle encore où les meneurs de la grève discutent avec Landrecy,