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et que rien n’a pu détourner de son chemin. On attendait donc de lui quelque chose d’extraordinaire : et il n’a fait que ce que pouvait faire un directeur de l’Odéon. Et c’est pourquoi on lui a fait expier sa renommée.

Cela est inique, si les premiers spectacles du nouvel Odéon ont été, comme il me semble, éminemment odéoniens. Que le Capitaine Fracasse, œuvre d’artiste à coup sûr, ne soit pas une très bonne pièce (et ces choses-là ne se savent complètement qu’après la représentation) ; que M. Antoine ou son associé (car enfin il en a un, et c’est M. Ginisty) ait donc pu se tromper sur la valeur dramatique de la comédie de M. Bergerat, là n’est pas la question. La pièce se présentait, depuis huit ans, je crois, sous la double caution d’un nom illustre et d’un nom célèbre ; depuis huit ans, des personnages influens la jugeaient avec faveur ; et elle avait même paru si bonne à un ministre qu’elle avait valu la croix à son auteur. Joignez que si M. Antoine ne l’avait pas jouée, il fût demeuré, jusqu’à la fin de sa direction, le Damoclès de l’épée de Fracasse : situation d’une incommodité proverbiale. Quant à Don Carlos, c’est évidemment une de ces œuvres qu’un théâtre à demi universitaire et sorbonnique, comme est l’Odéon, a pour mission de faire connaître à son studieux auditoire. — Les décors ni les costumes n’étaient merveilleux ? C’est que la nouvelle direction n’avait pas cent mille francs à y dépenser. L’interprétation a été médiocre ? Il serait plus équitable de dire qu’elle a été très inégale, ce qui n’a rien de surprenant si l’on considère que la troupe, toute récente et recrutée un peu partout, n’a pas encore eu le temps de concerter ni de fondre ses efforts. La mise en scène était fort inférieure à celle de n’importe quel théâtre de drame ? Je n’y ai pas vu, pour moi, tant de différence. On n’a voulu tenir nul compte de la somme de bon travail que supposent deux grands spectacles et dix-huit tableaux donnés en huit jours, ni, par exemple, de ce fait extraordinaire, qu’aucun des entr’actes de Don Carlos n’a dépassé dix minutes. Tel critique considérable, et le plus considérable de tous, qui a pour telle autre maison d’inépuisables et charmantes faiblesses, s’est montré ici non seulement dur, mais décourageant, et cela, à l’heure même où l’Odéon odéonisait le plus loyalement du monde. Ah ! si M. Antoine avait débuté par quelque drôlerie analogue à celles de l’ancien Théâtre-Libre, c’est alors qu’on lui eût fait entendre que l’Odéon n’est pas subventionné pour cultiver ce genre d’amusettes. Et voilà qu’on lui tombe dessus parce qu’il se conforme avec un zèle scrupuleux à l’esprit de son emploi ! C’est révoltant.

Venons aux deux pièces elles-mêmes. Il est trop vrai que la fable dramatique, dans le roman de Gautier, se réduit à presque rien, que les épisodes de la lutte engagée entre Vallombreuse et Sigognac s’y répètent d’ailleurs avec une monotonie un peu stérile, et qu’on ne pouvait donc tirer de ce roman descriptif une bonne comédie, à moins