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ressources de l’orchestre, en écrivant son ouverture pour le Songe d’une nuit d’été de Shakspeare. Le sujet était merveilleusement choisi. Tout en évoquant le souvenir du grand poète et en bénéficiant de ses beautés, le jeune compositeur avait su y ajouter le charme de ces impressions puissantes et indéfinies, dont son art a le privilège. Son programme, le titre seul de l’ouvrage suffisait à donner le branle et la direction à l’esprit de ses auditeurs. Sur la trame légère que lui offrait Shakspeare, il avait pu, à son gré, broder d’une main délicate ses arabesques mélodiques et ses harmonies aériennes. Bien que, par les images qu’il suggère, un tel sujet semble surtout pittoresque, il prête cependant plus à la musique qu’à la peinture. Trop précise dans ses contours et trop fixe dans ses harmonies, cette dernière est impuissante à figurer la mobilité, les transformations de ce petit monde de lutins, de gnomes et de farfadets qu’évoque la féerie du poète, avec leurs formes fugitives et le décor ondoyant où ils se meuvent. Toutes ces choses ailées et menues, essayer de les emprisonner dans un trait rigide ou de les peindre avec des colorations un peu nettes, c’est s’exposer à ne retenir de leur subtile poésie que cette poussière grise et terne que vous laissent aux doigts les papillons les plus brillans lorsque vous voulez les saisir. La musique, au contraire, peut sans les déflorer aborder de pareilles données. Mieux qu’aucun autre, en tout cas, Mendelssohn semblait préparé à cette tâche. Toute sa vie il devait aimer la nature, et sentant en elle-même ses beautés, il se plaisait aussi à en retrouver l’écho dans ses lectures favorites. Ces sensations complexes, peu définissables, il est parvenu à les exprimer dans son art par les résonances joyeuses ou bizarres de son orchestre, par ses sonorités étrangement accouplées, par la mobilité de ses rythmes, et les spirales capricieuses de ses mélodies qui s’enroulent ou se dissipent, se resserrent ou se dénouent, s’appellent ou s’évitent. Par momens, en fermant les yeux, il semble qu’on aperçoive, comme dans le rêve du poète lui-même, la troupe folâtre des petits esprits, avec leurs allures vagabondes et leurs danses ; chuchotant sous la lumière amie de la lune, parmi les diamans de rosée qui tremblent au bout des brins d’herbe.

Cette œuvre de jeunesse, pleine de poésie et d’éclat, laissait présager ce que pourrait Mendelssohn dans la musique instrumentale. Par ses compositions pour piano, ses trios et ses quatuors, il reprend les traditions des grands maîtres et conquiert une place à côté d’eux. Bien qu’il les sente peser sur lui de tout le poids de leurs chefs-d’œuvre, il reste fidèle à leur esprit, et ce n’est point en dehors des voies tracées par eux qu’il essaie de se frayer un chemin. Certes il n’a ni cette flamme qui éclairait