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enseignemens de Haydn, car il recommandait à un compositeur de ses amis nommé Schenk d’étudier avec soin les corrections faites par son premier maître sur les cahiers de devoirs qu’il lui remettait. Le nombre de ces cahiers aussi bien que les ratures dont ils étaient couverts attestent à la fois l’ardeur opiniâtre que l’élève apportait à ces études et la conscience du professeur à examiner ses exercices. Peu de temps après, en 1795, Beethoven publia ses premières œuvres instrumentales, trois trios (Op. 1) qui manifestent déjà sa maîtrise. A l’expérience, au goût qu’on y remarque, on peut reconnaître que ce ne sont pas là les productions d’un débutant. Récemment, en effet, on a découvert parmi les papiers laissés par J. -N. Hummel une cantate sur la mort de Joseph II (1790) et une autre sur l’avènement de Léopold II à l’Empire (1792), toutes deux inédites et qui, suivant l’observation faite par Hanslick qui signala un des premiers cette découverte, permettent déjà de pressentir le génie de Beethoven. Il y eut alors un court intervalle de bonheur dans la vie du jeune maître, car en même temps qu’il achevait de se perfectionner dans son art, il était introduit dans la haute société de Vienne, chez les Esterhazy, les Liechtenstein, les Lichnowski. On l’y accueillait avec bienveillance, on appréciait la loyauté de sa nature, le charme de son talent plein de fougue et de tendresse passionnée. A la cour de Vienne, où il s’était fait entendre plusieurs fois, à Berlin, où il se rendit en 1796, son jeu et surtout ses improvisations lui valurent les témoignages d’admiration les plus flatteurs. Le succès des trois sonates de piano dédiées à Haydn (Op. 2) attirait chez lui des éditeurs, et l’aisance où il se trouvait lui avait permis d’avoir un domestique et même d’acheter un cheval de selle. Dans les salons les plus aristocratiques, on supportait les éclats de sa franchise et la brusquerie de ses allures. Bien qu’au premier abord ni ses traits ni ses manières ne prévinssent en sa faveur, il avait fait mainte conquête, et, si l’on en croit son ami Wegeler, son cœur était toujours occupé. Plus d’une fois même il eut à ce moment des velléités de mariage ; mais, ainsi qu’il le dit lui-même, « avec des personnes qui n’étaient pas de sa condition et avec lesquelles il ne pouvait songer à s’unir avant d’avoir poussé plus vigoureusement ses affaires. » Il s’agissait alors de Julia Guicciardi, devenue plus tard comtesse de Gallenberg, à laquelle il dédia cette sonate si gratuitement appelée le Clair de Lune, qui a donné lieu à tant de romanesques légendes et que Beethoven était agacé de voir préférer à des œuvres qu’il jugeait lui-même supérieures. D’autres dames du plus grand monde avaient aussi été l’objet de ses attentions. Il s’était complètement transformé, et à la veille de son retour à Bonn, il écrivait à une ancienne amie