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que le choix des mots et la convenance du style aient reçu le visa de la censure constitutionnelle. C’est, dirigé contre la maison de Habsbourg, le procès qu’intenta la Restauration à Paul-Louis Courier ; le pamphlétaire avait bien parlé, dans son Simple discours, de la mort du duc de Berry et de la naissance du duc de Bordeaux, mais, chose inouïe, disait l’avocat général, celle-ci ne lui inspire point d’allégresse et celle-là pas de douleur.

Cette vibration qui manque à la lettre du souverain, on la chercherait vainement, d’ailleurs, hors de la Hongrie. La presse tchèque apprécie que la question croate est à nouveau posée et qu’il n’y a pas lieu de prendre la défense du ban Hédervary contre ses compatriotes. Le Deutsches Volksblatt, organe des antisémites de Vienne, constate que le régime de la confiscation, qui sévit plus que jamais en Croatie, prive décidément de soupape le patriotisme sous pression. Il ajoute que les Hongrois, à l’occasion, prennent même fâcheuse licence à l’endroit des emblèmes de l’empire. Justement son dire est corroboré par une revue militaire de Vienne, le Reichswehr, rappelant qu’au mois de septembre 1889, à Monor (Hongrie), pendant les manœuvres, le drapeau jaune et noir a été enlevé et traîné dans la boue sans qu’aucun coupable ait été inquiété. Il y a grande séance d’excommunication organisée par la jeunesse universitaire de Pesth, mais les étudians croates de Vienne et ceux de Graz ripostent et envoient des adresses au Deutsches Volksblatt, ce qui vaut d’ailleurs sa disgrâce à plus d’un boursier. À Grosswardein, sur territoire hongrois, les jeunes Roumains refusent d’assister au meeting proposé par leurs camarades. En somme, il y a partout surprise, jugemens contradictoires, propos graves ou condoléances narquoises ; mais l’horreur reste confinée dans la patrie d’Andrassy, pendu en effigie dans sa jeunesse pour fait de rébellion, — et le vaste empire ne frémit pas.

Ce sont les étudians d’Agram qui paieront pour leur éclat et pour ce silence. Cinquante-trois comparaissent sous l’inculpation de perturbation de la paix publique, d’excitation à la haine contre une nationalité. Les débats commencent le 11 novembre ; c’est le procès théâtral, presque symétrique de celui de Klausembourg, réclamé par l’opinion magyare. Cette jeunesse n’est nullement déprimée par un mois de prison préventive. À l’audience, elle a la crânerie particulière aux accusés politiques qui sentent qu’on poursuit en eux l’idée de demain. Chacun porte à sa boutonnière une tulipe, signe de ralliement du starcevicianisme. L’auditoire les applaudit, les femmes leur jettent des fleurs. M. le comte Apponyi a réclamé de la mise en scène, en voilà ! Le