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franchement leurs aspirations populaires, ce serait folie de repousser ce compromis. » Soit ; mais ce compromis sera-t-il offert aux jeunes-tchèques ? Nous le leur souhaitons sincèrement, et alors, comme le dit M. Eim, ce serait de leur part folie de le repousser. C’est bien, ou du moins c’était bien l’avis de M. Hérold, le principal orateur du parti au parlement de Vienne, qui a donné une approbation publique au discours de M. Eim. M. Hérold a constaté avec satisfaction que le comte Badeni semblait disposé à s’entendre avec les jeunes-tchèques dans le prochain Reichsrath. H a ajouté toutefois que cette entente ne serait possible que si le cabinet de Vienne reconnaissait à la Bohême le même droit qu’à la Hongrie de conclure un compromis qui consacrerait les revendications historiques du royaume. Le comte Badeni ira-t-il, pourra-t-il aller jusque-là ? Rien n’était plus douteux. En tout cas, tout semblait marcher à souhait pour lui lorsqu’un revirement subit paraît s’être produit chez les jeunes-tchèques. Peut-être se sont-ils aperçus qu’ils étaient allés un peu vite, et qu’ils avaient pris leurs espérances pour des réalités sur le point de s’accomplir. Le même M. Hérold, qui s’était fait l’avocat de la conciliation, n’a pas tardé à reprendre les allures les plus militantes et à déclarer qu’en présence de l’attitude du gouvernement, le parti s’opposerait au renouvellement du compromis entre l’Autriche et la Hongrie, et s’efforcerait d’obtenir par tous les moyens l’autonomie nationale et politique de la Bohême. Ces soubresauts d’opinion sont bien faits pour dérouter, et aussi pour inspirer de l’inquiétude. En Hongrie, M. François Kossuth, chef de la fraction libérale du parti de l’indépendance, proclame la nécessité d’une séparation complète entre l’Autriche et la Hongrie, et M. Gabriel Ugron, chef de la fraction cléricale du même parti, marche de concert avec lui. Les deux fractions du parti, autrefois hostiles, se sont coalisées contre le gouvernement, et leur exemple semble devoir être suivi par les autres représentans de l’opposition. En Autriche, le comte Badeni accentue de plus en plus sa politique conservatrice ; en Hongrie, le baron Banffy s’apprête à déployer, à travers la lutte électorale, son énergie éprouvée d’homme d’action. Mais évidemment la situation est grave ; l’avenir est très incertain : il semble bien que des changemens plus ou moins considérables ne sauraient tarder beaucoup à s’effectuer.


FRANCIS CHARMES.

Le Directeur-gérant, F. BRUNETIERE.