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n’en avaient pas alors avec la Régence. Comment distinguer les produits qui seraient venus de Naples de ceux qui seraient venus de Rome ? Que de complications ! Que d’impossibilités ! Mais M. Crispi ne parlait sans doute pas bien sérieusement, et il serait encore moins sérieux de notre part de discuter ces conceptions fantaisistes. Au reste, M. Crispi affirmait qu’à défaut de traités formels, les capitulations suffiraient atout. C’était la menace par laquelle il espérait nous intimider ; ses successeurs, mieux inspirés, ont jugé plus sage de ne pas l’essayer. Confians dans nos dispositions amicales, ils ont négocié avec l’espoir, et cet espoir s’est pleinement réalisé, qu’ils arriveraient à faire reconnaître par le gouvernement de la République tous les intérêts légitimes de l’Italie et à en obtenir de lui une consécration efficace. Nous n’avions assurément aucune velléité de fermer les écoles, ou de dissoudre les associations italiennes existantes, ni même d’entamer contre la colonie italienne de la Régence, dont nous sommes les premiers à reconnaître les heureuses qualités, une petite guerre de vexations et de taquineries. De même pour les produits italiens importés dans la Régence : en dénonçant le traité de 1868, nous n’avions en rien la pensée de les exclure par des droits prohibitifs, ou de les surcharger de taxes exorbitantes ; tout ce que nous voulions, c’était qu’il fût désormais entendu que les produits italiens ne seraient pas sur le même pied que les nôtres, et ne pourraient pas invoquer le traitement de la nation la plus favorisée, lorsque celle-ci serait la nation protectrice. Il n’y avait, en cela, rien d’excessif. Ce qu’il y avait eu, au contraire, de très méritoire de notre part, c’est d’avoir maintenu depuis 1881 jusqu’à présent, c’est-à-dire depuis le traité du Bardo jusqu’à l’expiration du traité italien de 1868, une situation qui était pour nous intolérable et inadmissible. Nous l’avions admise pourtant, nous l’avions tolérée, parce que nous avions pris l’engagement de le faire par le traité du Bardo, qui confirmait tous les traités antérieurs, et que la parole de la France était engagée. Mais, en ce qui concerne l’Italie, cet engagement prenait fin le 28 septembre, et il n’y avait à coup sûr, ni d’un côté des Alpes, ni de l’autre, aucun homme sensé qui pût croire que la situation qui en était résultée se prolongerait un jour de plus. Si, dans le système du protectorat, la nation protectrice, après avoir fait de grands sacrifices en hommes et en argent, n’avait pas plus de droits que les autres dans un pays qu’elle aurait péniblement conquis et où elle devrait se contenter de faire la police ; si elle avait toutes les responsabilités et aucun avantage ; si elle était éternellement condamnée à un rôle où le sacrifice serait poussé jusqu’au ridicule, il faudrait évidemment renoncer partout au système du protectorat et proclamer l’annexion. Que voulions-nous donc ? Une chose très simple et très légitime : recouvrer la liberté de nos propres tarifs, et imposer aux autres nations, dans l’espèce à l’Italie, des tarifs d’ailleurs modérés. Notre cause était trop bonne pour n’être pas gagnée.