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tiré de médiocres profits. On sait comment elle s’est séparée, après le Congrès de Berlin, de ses attaches antérieures. La triple alliance s’est aussitôt formée ou reformée contre elle, autant que contre nous. On ne connaît pas complètement les traités qui constituent ce groupement politique, on sait seulement qu’ils existent. Un seul a été publié ; il a été renouvelé depuis cette époque et peut-être modifié dans quelques-unes de ses dispositions, mais non pas dans son esprit général. C’est le traité conclu entre l’Allemagne et l’Autriche : il visait nominalement la Russie. D’autres, à n’en pas douter, visaient la France dans des conditions symétriquement analogues ; nous ne les connaissons pas ; nous ne pouvons que les deviner. M. de Bismarck a eu peut-être tort de livrer prématurément un de ses chefs-d’œuvre à l’admiration du monde, voire à son imitation. Quoi qu’il en soit, la Russie s’est sentie isolée, et même éventuellement menacée. Nous étions dans la même situation qu’elle. Entre elle et nous l’entente était donc tout indiquée. Pourquoi ne se serait-elle pas faite ? La France disposait d’une force militaire extrêmement puissante. Malgré ses malheurs d’il y a vingt-cinq ans, elle n’avait pas cessé de jouer dans le monde un rôle qui, chaque jour, devenait plus important. Les préjugés inspirés par son état démocratique, préjugés qu’une certaine presse étrangère s’efforçait d’entretenir avec une adresse acrimonieuse, pouvaient seuls être un obstacle ; mais l’histoire tout entière montre que ces obstacles ne sont pas de ceux devant lesquels on s’arrête longtemps. Ils n’ont pas arrêté l’empereur Alexandre III. De notre côté, il n’y avait ni préjugés, ni obstacles. Ceux qui allaient répétant au dehors qu’une république démocratique ne pourrait jamais donner la main à un souverain autocrate, ni se mettre d’accord avec lui sur des intérêts où la forme des deux gouvernemens n’avait pourtant rien à voir, nous prenaient pour des doctrinaires infiniment plus ingénus que nous ne le sommes. Nous étions tout prêts à l’alliance, aussitôt que l’empereur de Russie le serait également. Alexandre III a montré, à Cronstadt, qu’il l’était, et il a même donné à la démonstration un éclat imprévu. C’est lui, à ce moment, qui a voulu l’alliance ; c’est lui qui l’a faite ; il en aura l’honneur devant l’histoire. En France, on serait bien en peine de dire avec la même précision qui a fait l’alliance russe. On saura sans doute un jour quels sont ceux qui ont été appelés à l’enregistrer ; mais elle a été l’œuvre du consentement et presque du concours universels. En Russie, les responsabilités initiales ne peuvent ni se partager, ni s’égarer. Elles reposent toutes, et très glorieusement, sur la tête de l’empereur Alexandre III. Il les a d’ailleurs acceptées aussi ouvertement que son successeur, et pendant son règne, comme depuis, rien n’a été fait pour dissimuler l’alliance, mais, tout au contraire, pour attirer et fixer sur elle l’attention du monde européen.

Néanmoins, en Europe, on a continué de douter jusqu’à ces derniers jours, et il semble que les fêtes de Paris aient été pour beaucoup