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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.



14 octobre.


Le voyage que l’empereur et l’impératrice de Russie viennent de faire en France a laissé dans les esprits une trace profonde. Tous les journaux en ont fait le récit. On a multiplié les descriptions. On a philosophé à perte de vue sur ce qu’une pareille rencontre, entre un souverain absolu et une république libre et démocratique, avait d’extraordinaire. On y a vu la merveille de cette fin de siècle dont le début avait montré, ce semble, des spectacles tout aussi dignes d’admiration. Évidemment, ceux qui s’étonnent ont un peu oublié l’histoire. Nous avons si souvent entendu répéter, depuis vingt-cinq ans, que la France républicaine ne pouvait pas avoir d’alliances, et ceux qui le disaient ont si bien fini par s’en convaincre eux-mêmes, que l’évidence du contraire a de la peine à entrer dans leur esprit. La lumière se fait pourtant, à tel point aveuglante qu’il devient impossible de n’en être pas frappé. Alors, ce sont chez les uns des explosions de joie dont l’ardeur fait plaisir et devient heureusement contagieuse, et chez les autres des manifestations de surprise où persistent encore quelques vestiges de doute. Ici, l’invasion de la foi est brusque et définitive ; elle remplit l’âme tout entière. Là, elle est encore hésitante et combattue, comme si on mettait un peu d’amour-propre à ne pas croire une chose qu’on a déclarée incroyable, mais que, pourtant, on n’ose plus nier. La France, elle, a fait simplement acte de foi. Lorsque l’empereur Nicolas, en nous quittant, a déclaré que l’impératrice et lui avaient « senti battre le cœur de ce beau pays de France dans sa belle capitale », ils ont exprimé un sentiment sincère. Ils n’ont pas pu se méprendre sur ce qu’a eu de spontané, d’irrésistible, et, on nous permettra d’ajouter, de généreux dans sa confiance, le mouvement avec lequel tout un peuple s’était précipité vers eux. C’est en vain que quelques journaux avaient entamé et poursuivi, depuis plusieurs semaines, une campagne qui n’était peut-être pas bien opportune, pour jeter des doutes sur la réalité de l’alliance et pour en demander la preuve matérielle, l’instinct populaire ne s’est pas arrêté aux scrupules qu’on avait voulu lui inspirer. La foule immense a cru. Elle a couru au-devant de l’empereur, non sans attendre toutefois, avec une impatience émue, les paroles qu’il ne manquerait pas de pro-