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change ce sont les leçons qu’on lui donne. Il y a des éducateurs maladroits. Et il y en a de funestes.

Mais cette méthode, que nous regrettons de voir bannir de l’enseignement, est-elle recevable en critique ? Ou n’est-elle pas au contraire exclusive de l’idée elle-même de la critique ? La « critique admirative » compte chez nous plus de partisans qu’on ne croit. Elle en a parmi les auteurs, très persuadés que devant eux les attitudes les plus prosternées sont aussi les plus convenables et que le rôle de donneur d’encens est précisément celui qui sied au critique. Elle en a dans le public, dont la paresse se plaît aux opinions sans nuances, et qui n’aime ni qu’on rabatte ses engouemens ni qu’on le dérange dans la célébration du culte. Il y a d’ailleurs dans le parti pris de l’admiration une apparence de noblesse, un semblant de largeur, un je ne sais quoi de généreux et qui ne sent pas son pédant. On se refuse à ramener à la mesure commune ceux qui, par leur génie, échappent à cette mesure. On se ferme les yeux, afin de ne pas voir les faiblesses, les lacunes, les défauts chez ceux de qui les belles qualités nous ravissent ; et peut-être, en effet, ne les voit-on pas, car l’enthousiasme est un état violent. En revanche le critique qui continue de se posséder, qui n’abdique ni sa raison ni son goût, celui-là donne de lui-même une opinion défavorable : il est mal vu. Ses meilleurs amis croient devoir l’avertir. « Libre à vous, si cela vous amuse, de vous empêcher d’avoir du plaisir. Mais pourquoi nous retirer nos admirations ? A quoi bon nous montrer que la statue a des pieds d’argile ? Quand nous sommes transportés d’aise et ravis hors de nous-mêmes, de quelle matière êtes-vous donc fait pour rester de sang-froid ? Cette froideur, c’est ce qu’il n’y a pas moyen de vous pardonner. Vous ne vous échauffez jamais. Vous ne laissez jamais paraître d’émotion. Vous ne vibrez pas. Vous tenez à rester maître de vous et à conserver ce que vous prenez pour la netteté et la justesse de l’esprit et qui n’en est que la sécheresse. La sécheresse ! voilà votre défaut. C’est un défaut plus grave que vous ne pensez, car il vous empêche de comprendre ce qui est vraiment grand. Involontairement vous rapetissez les œuvres et les hommes. N’y aurait-il pas dans votre cas un peu d’envie ?… » Nous essaierons de montrer par l’exemple d’un livre, qui n’est d’ailleurs pas sans mérite, ce que vaut en soi la critique admirative, et à quels résultats aboutit une critique dont l’admiration est le principe et le moyen.

Tous ceux qui s’intéressent à l’histoire de Chateaubriand connaissent l’excellent travail que M. l’abbé Pailhès consacrait naguère à Mme de Chateaubriand. M. Pailhès nous a remis en mémoire ce fait, généralement oublié, qu’il y a eu une Mme de Chateaubriand. Il s’est fait l’éditeur de ses notes et de ses, lettres ; il nous a fourni des documens qui nous permettent de retrouver ou de deviner sa physionomie ; c’en est