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de la Bolivie. Cette petite troupe s’empara d’Antofogasta pendant que le peuple des hauts plateaux et son dictateur se travestissaient et dansaient le carnaval. En un mois, le désert d’Atacama fut conquis. Les Boliviens s’empressèrent d’appeler leurs alliés à la rescousse, mais, en même temps, un de leurs agens confidentiels filait à Santiago et soufflait à l’oreille du gouvernement : « Voulez-vous qu’au lieu de tirer les armes contre vos soldats nous les tournions contre le Pérou ? Nous le démembrerions et partagerions sa flotte. Vous nous donneriez la province de Tacna, dont les ports (Iquique) ne nous déplairaient point, et l’on vous abandonnerait Atacama, qui pour vous a des charmes. Bien entendu, vous n’oublieriez pas dans votre reconnaissance le président de la république et ses ministres. Ce sont gens qui méritent vos sympathies, et qui, sans être intéressés, pensent à l’avenir. » Le Chili se dit : « Tiens ! tiens ! tiens ! » et réfléchit encore. Cet arrangement le séduisait, mais adieu Iquique, la Jérusalem du Veau d’or ! L’appétit lui était venu en mangeant Atacama, et d’ailleurs sa situation pécuniaire lui aiguisait les dents. Dans un livre intéressant, mais qui ressemble plus à un pamphlet qu’à une histoire, M. Barros Arana, Chilien, exalte la patience de ses compatriotes et nous les peint victimes de la rapacité péruvienne. Seulement il oublie de nous parler de leurs embarras financiers. Ce chapitre, qui manque, eût sans doute commenté le vieux proverbe que la faim fait saillir les loups, voire même les agneaux.

Cependant la guerre était déclarée, et, du matin au soir, les Péruviens, pour s’entraîner, entonnaient des péans de triomphe. Leurs journaux n’étaient plus que des bulletins de victoires anticipées. Ils exterminaient leurs ennemis entre la poire et le fromage. Les Boliviens convaincus interrompirent leurs négociations, et leurs colonels partirent en campagne. Le Chili, seul contre deux adversaires, se lança bravement dans l’aventure, et il faut lui rendre cette justice qu’il y fut merveilleux. Il se battit comme trois cents Spartiates.

Son premier soin fut de bloquer Iquique, et, pendant que l’escadre cinglait vers Callao pour présenter la bataille aux navires du Pérou, le blocus de ce port resta confié à une goélette, la Covadonga, et à l’Esmeralda, pauvre corvette fatiguée par vingt-cinq ans de roulis. Mais les deux escadres ennemies, l’une montant vers le nord, l’autre descendant vers le sud, ne se rencontrèrent pas, et tout à coup les capitaines du blocus virent s’avancer dans leurs eaux deux cuirassés péruviens : le Huascar et l’Independencia. Le combat était aussi impossible à éviter qu’à soutenir. C’était la lutte du bois contre le fer. Il ne s’agissait que de se