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en tombait ou feignait d’en tomber d’accord, on n’hésite pas à nous dire aujourd’hui : « L’événement capital de l’histoire, celui dont ni la science ni la philosophie n’ont saisi complètement la portée, c’est la lutte que l’homme a soutenue… pour soumettre sa propre raison. » Et ce n’est pas là d’ailleurs ce qu’on appelle « une vue de l’esprit », une considération théorique, le résultat d’une opération de cette même raison qu’il s’agit de faire comme rentrer dans ses justes limites. C’est un fait. Si nous sommes amenés à cette conclusion : « que le rôle des croyances religieuses dans l’évolution humaine, c’est de fournir une sanction super-rationnelle à la conduite de l’homme en vue des conditions nécessaires au progrès, conditions pour lesquelles il n’existe pas de sanction rationnelle » ; cette conclusion, c’est l’histoire qui nous la dicte ; et nous la tirons de ce qu’en aucun temps, sous aucune latitude, on n’a vu jusqu’ici de société vraiment civilisée qui n’ait placé sous une sanction super-rationnelle, avec le maintien de sa stabilité le principe actif de son perfectionnement. Il y a là de quoi donner à réfléchir ! Quelque opinion que l’on ait sur « l’avenir des religions », — je veux dire sur la fortune personnelle du christianisme ou du bouddhisme, — on n’expulsera pas « l’irrationnel » du nombre des sources de la connaissance ; et qui se serait attendu que le suprême effort du « rationalisme » en dût aboutir là ? Telle est pourtant l’opinion de l’auteur de l’Évolution-sociale ; et, pour ne rien dire de la mienne, telle aussi l’opinion de l’auteur des Bases de la Croyance.


IV

Il a écrit en effet, dans la conclusion de la partie critique de son livre : « Si nous voulons trouver la qualité qui nous élève au-dessus de la brute, il n’est pas exagéré d’affirmer, quoique ceci puisse avoir une saveur paradoxale, qu’il nous faudra la chercher non pas tant dans notre faculté de convaincre et d’être convaincus par le raisonnement que dans notre capacité d’influencer et d’être influencé par l’autorité[1]. » C’est encore ce que l’on eût à peine osé prétendre il y a quinze ou vingt ans, et bien moins au temps de notre jeunesse, où, par une amusante contradiction, on nous enseignait avec autorité, — puisque c’étaient nos maîtres, — à nous défier de l’autorité.

Nullius addictus jurare in verba magistri.
  1. J’ai cru devoir, dans cette étude sur un livre anglais, n’appeler en témoignage que des écrivains anglais, mais il m’est impossible ici de ne pas noter l’analogie de quelques-unes de ces vues, et de celles qui suivent, avec les vues des de Maistre et des Bonald.