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ne sais trop sur quelle matière on ne trouvera pas de vues neuves ou paradoxales dans ce livre, de remarques ingénieuses ou d’observations profondes. Il y en a sur la morale, et il y en a sur la politique ; il y en a sur la métaphysique et il y en a sur l’exégèse ; il y en a sur la peinture et il y en a sur la musique ; il y en a même sur la « mode » ; et le chapitre ou le paragraphe des chapeaux, qui n’est pas le moins amusant du livre de M. Balfour, n’en est pas non plus le moins solide. Que dirais-je de plus ? Mais, après tout cela, j’en reviens à mon premier mot : le livre de M. Balfour sur les Bases de la Croyance est un signe des temps. M. Balfour lui-même ne l’eût pas écrit, il n’eût pas pu l’écrire voilà seulement quinze ou vingt ans. Les mêmes questions ne se posaient pas alors de la même manière. Le terrain n’était pas préparé. L’auteur n’eût pas rencontré dans l’état général des esprits cette complicité si nécessaire au succès, pour ne pas dire à la valeur d’un livre de ce genre. Et c’est pourquoi, dans ces quelques pages, au lieu d’analyser ou de résumer un livre qu’aussi bien j’espère que tout le monde lira, qu’il faut qu’on lise, que je suis bien sûr qu’on lira jusqu’au bout si seulement on l’a commencé, il m’a paru plus intéressant d’essayer de définir cet état des esprits.


II

L’un des premiers traits en est cette « réaction contre la science », dont les vrais savans ne s’émeuvent pas plus qu’il ne convient ni surtout ne s’irritent, mais dont on voit en France, comme en Angleterre, et ailleurs, les hommes politiques ou les journalistes s’indigner, au nom de la liberté de penser, avec des propos d’inquisiteurs et des gestes d’énergumènes. Mais c’est le cas de le dire, des journalistes, ou même des députés, ne sont pas des raisons, et, en dépit d’eux et de leur contre-fanatisme, le mouvement est universel. Ce ne sont plus en effet aujourd’hui quelques « professionnels », théologiens ou moralistes, prédicateurs ou prélats, engagés par serment à la défense de l’orthodoxie, qui dénoncent les empiétemens de la science ! Au contraire ; et quelques-uns d’entre eux, — qui savent sans doute, ô mon Dieu ! ce qu’ils font, — sont avec elle en commerce de coquetterie réglée. « Voyons, lui disent-ils, nous ne sommes pas si intransigeans que nous en avons l’air ; accordez-nous seulement qu’il y ait quelques parties d’inspirées dans nos livres, le moins possible, celles qui regardent la morale, par exemple ; et vous serez étonnés comme nous nous entendrons ! » Mais ces diables de Brisson ou de Bcrthelot ne