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blanche est en bas : c’est l’étendard de la Serbie. Les autonomes se tiennent au pavillon dalmate et, quand ils n’ont ni terrasses ni balcon, demandent pour lui l’hospitalité à la stionica. La musique, sur ce littoral, aigrit, comme partout, les mœurs politiques : où l’art découvre les élémens d’une fanfare, immédiatement il s’en crée deux, et ce n’est pas une petite affaire pour les podestats de régler les préséances. Les salons sont aussi serbes ou croates : on saisira d’emblée leur nuance aux lettres de faire-part qui traînent sur les guéridons ; il est rare qu’un Serbe annonce un mariage ou un décès en autres caractères que les cyrilliques, tandis que ses adversaires usent uniformément des latins. C’est, du reste, comme en Croatie, l’effet de la corrélation étroite entre le culte et l’opinion.

Le paysan catholique est, en général, un Croate ardent. C’est son curé, jusqu’à l’année dernière, qui l’a mené à la bataille, d’accord, au surplus, — chose rare, — avec l’instituteur : ces fonctionnaires n’étant guère tracassés par le gouvernement, suivent leur penchant, c’est-à-dire leur religion. Grâce à l’appoint des campagnes, la statistique antérieure aux élections de 1895 accusait vingt-cinq Croates à la Diète de Zara sur quarante-deux sièges. De cette députation émergeaient le très regretté docteur Klaic, président du groupe slave au Reichsrath, mort l’année dernière, et l’abbé Bianchini, qui s’est donné pour tâche d’enfoncer dans la terre dalmate le starcevicianisme et de lui assurer la rigidité d’un dogme.

Son parti, d’accord avec les starceviciens de Croatie et même de Bosnie, a tenu, en mai 1893, un congrès dans la ville de Fiume. On s’y préoccupa de développer et vivifier la formule du philosophe d’Agram. Et ce qui montre combien la mégalomanie du serbisme est contagieuse, il s’en fallut d’une voix qu’on ne déclarât le Monténégro « terre croate. » Ceci passait les bornes de l’amplification tolérée dans les travaux d’une constituante sans mandat. Bianchini et son groupe furent mieux inspirés, l’année suivante, en proposant, à la diète de Zara, le vote d’une adresse à la Couronne réclamant l’union de la Dalmatie à la Croatie. C’était donner à la théorie, jusqu’alors cantonnée dans les congrès et dans les journaux, la consécration parlementaire. La Diète y était préparée. Elle nomma même une commission chargée de mettre l’adresse au point et de présenter un rapport dans les vingt-quatre heures ; mais le ministère viennois, prévenu dans l’intervalle, prononça par télégramme la clôture de la session. C’est le pur procédé autrichien ; nous avons vu récemment, par le refus de sanctionner l’élection du docteur Lueger, qu’il ne