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le Périgueux d’aujourd’hui n’a plus de tisserands, mais il a 16 merciers et 14 drapiers ou marchands de nouveautés, on gros et en détail.

Bref, malgré les entraves plus apparentes que réelles dont l’organisation du travail entourait jadis le patronat, il y avait beaucoup plus de maîtres autrefois que de nos jours. Et s’il n’y en avait pas davantage encore, ce n’est pas à cause des restrictions corporatives, mais parce qu’il fallait à l’ouvrier, pour « s’établir », un capital, un fonds de roulement ou du crédit, toutes choses qui jamais ne furent ni ne seront à la portée de l’universalité de la classe laborieuse. Qu’on ne se laisse pas d’ailleurs duper par les mots : les bons ouvriers dans la petite industrie, et, dans les usines, les contremaîtres, les surveillans, ceux qui sont chargés de la direction des moteurs, gagnent beaucoup plus que l’immense majorité de tous ces petits patrons du temps passé, sans courir aucune des chances de pertes que l’ouvrier travaillant « à son compte » doit prévoir.

Les « lettres de maîtrise », dans les métiers privilégiés, ne donnaient pas par elles-mêmes la clientèle, ni par conséquent les profits, plus que ne la donne aujourd’hui le diplôme de pharmacien. Libre aux villes de grossir à leur gré l’effectif nominal des gens de tel ou tel métier, comme fait le conseil communal d’Angers lorsqu’il augmente, en 1623, le nombre des orfèvres « pour l’honneur de la ville. » Si ce nombre excède les besoins réels, le projet restera sans exécution ; à moins qu’il ne s’agisse de pseudo-commerçans purement décoratifs. Ces antiques et vénérables classifications, qui mettaient les potiers de terre au cinquième et dernier rang de la liste des métiers, tandis que les potiers d’étain étaient au troisième rang, à côté des peintres, n’ont pas retardé d’une minute la décadence de la vaisselle d’étain, ni empêché la faïence de prendre à son heure le pas sur elle.

Pour qu’un état rencontrât peu d’amateurs, il fallait qu’il fût réputé tout à fait vil, et ce n’était plus alors la législation mais les mœurs qui agissaient. On peut croire par exemple que, si nous manquions d’ouvriers cordiers dans nos ports, si Colbert fut obligé d’en faire venir de Hambourg, Dantzig et Riga, cette pénurie était causée par le mépris dans lequel était tenue, sur nos côtes de l’ouest, l’industrie de la corde. Par suite de quel préjugé les cordiers, appelés cacous ou caquins, passaient-ils pour descendre des lépreux du moyen âge ? on ne sait. Toujours est-il qu’en Bretagne ils inspiraient une vraie répulsion aux autres habitans ; ils devaient se présenter les derniers pour baiser les reliques, recevoir dans la main le pain bénit qu’il leur était défendu de prendre eux-mêmes dans la corbeille, et, quand ils faisaient