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le salaire du journalier était ainsi descendu, dans les années prospères pourtant, du ministère de Colbert, à 1 fr. 60. Cette remarque suffit à mesurer la chute du paysan, depuis le développement de la population à la fin du XVe siècle.

Boisguillebert estimait en 1700 la journée du travailleur rural à 1 fr. 28 ; Vauban la portait à 2 fr. 17. Effectivement ces deux chiffres se rencontrent ; il s’en rencontre même de plus bas, — un journalier de Mende n’a que 88 centimes, — et de plus hauts — un cribleur de grains à Soissons reçoit 3 fr. 20. Si nous l’avons évaluée à 1 fr. 85, sous le ministère de Louvois, d’après un grand nombre de prix provenant de diverses provinces et payés en diverses saisons, c’est en nous efforçant de formuler le salaire moyen de l’année. C’est ainsi que les salaires élevés des moissons, des vendanges, des labours, qui abondent dans les comptes de ménage d’autrefois, n’enflaient pas la poche du paysan dans une forte mesure, parce qu’ils n’étaient payés que durant quelques semaines. On ne doit pas leur attribuer, dans les moyennes, plus d’importance qu’ils n’en ont eu dans la réalité de la vie.

La journée remonta de quelques centimes sous la régence du duc d’Orléans, et haussa encore durant le ministère de Fleury jusqu’à 2 fr. 04. Quoique les traces des années de misère de la fin de Louis XIV fussent à peu près effacées, la population demeurait sans changement ; même elle avait une tendance à la baisse et pourtant l’agriculture était en reprise ; le blé était donc à meilleur marché qu’il n’avait été précédemment. Dans la période 1751-1775 le chiffre des habitans s’accroît, le journalier n’est plus payé que 1 fr. 75 ; il le sera moins encore sous le règne de Louis XVI : 1 fr. 64. Il n’y a pas, dans toute notre histoire, un moment où les terres aient été mieux cultivées, où jolies aient valu davantage et il n’y en a guère où la condition du campagnard ait été pire. Il est juste d’ajouter qu’il n’y a pas non plus une seule époque où la population ait été aussi dense qu’au moment de la Révolution.

Dans ses Recherches sur les finances Forbonnais appréciait vers 1750 la journée du manœuvre à 86 centimes ; c’est à ce chiffre aussi que nos moyennes fixent le salaire du journalier nourri pour la fin du règne de Louis XV. Il ne l’atteint pas partout ; dans l’Indre, dans les Deux-Sèvres il n’obtient que 51 et 63 centimes. De 1776 à 1790, où le journalier nourri reçut en général 90 centimes, ce prix, rarement dépassé en été, n’était presque jamais atteint en hiver. Sans nourriture il gagnait, comme on vient de dire, 1 fr. 64 ; si le moissonneur de Lorraine atteint 2 fr. 32 et le vendangeur de Nîmes 2 fr. 70, le manœuvre de Bourgogne n’a que 1 fr. 08 et celui de Berry que 94 centimes par jour. Ces prix,