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seigneuriale pour cette surface qu’ils défricheront. « Bien entendu ils n’entendaient nullement contester les droits de justice, chasse et féodalité à mondit seigneur le prince : au contraire s’y soumettre expressément. » Ces paysans laissent l’honneur et gardent l’argent : « justice » et « féodalité » ne sont que des mots à la fin du XVIIIe siècle ; pour la « chasse », il n’y aura guère de cerfs ou de chevreuils dans des champs de blé. Ce sont là fictions pures. Quant au revenu pécuniaire, ce bois de 1 400 hectares, à 45 centimes chaque, eût produit au suzerain 630 francs, c’est-à-dire une recette assez dérisoire.

Des difficultés analogues surgissent partout à la fin de l’ancien régime, et partout elles se terminent au profit général de l’agriculture et au préjudice particulier des usagers. Dans le cahier des doléances de Bretigny, pour les États généraux de 1789, les habitans de cinq- ou six paroisses, voisines de la forêt de Séquigny, réclament leurs droits « d’une antiquité immémoriale, confirmés par beaucoup de rois et par un arrêt du Parlement en 1318 ! » Depuis vingt ans, « ces malheureux ne peuvent plus avoir que le quart des bestiaux dont ils ont besoin, parce que les seigneurs puissans qui possèdent la forêt les intimident par des vexations et des procédés violens. »

Partout les tribunaux, guidés par l’intérêt de la sylviculture et sachant les cultivateurs peu soucieux de la conservation du fonds boisé, ont désormais une tendance manifeste à favoriser le propriétaire de ce fonds. Naguère, dit un curé normand en 1774, « mes pauvres avaient la faculté de faire un fagot de bois mort dans la forêt ; mais elle leur est totalement ôtée. » Dans le XVIIIe siècle finissant, les hommes sont volontiers « philanthropes » ; cependant les lois et les combinaisons sociales sont à coup sûr moins avantageuses au prolétaire que dans le moyen âge.


II

La même transformation tend à se produire dans la vaine pâture. C’est la multiplication des bouches à nourrir qui le veut.

On mangera peut-être moins de viande, mais ne faut-il pas avoir du pain ? Sous cette influence disparaissent les entraves apportées, par le communisme d’autrefois, à la propriété individuelle et ces mille pratiques socialistes par lesquelles, sans presque posséder de terre, les gens des champs pouvaient vivre de la terre, comme des seigneurs fonciers. Dans son Théâtre d’agriculture, à l’aurore du XVIIe siècle (1600), Olivier de Serres faisait remarquer « qu’avec peu de dépense le bétail s’entretient, eu égard