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ne les inquiète, où les bois leur appartiennent en toute propriété, les communes exploitent avec tant de profusion qu’elles se mettent elles-mêmes mal à l’aise. Un arrêt du parlement d’Aix prescrit aux paroisses qui n’ont pas assez de bois de « mettre en défens certaine portion de leur territoire », qui sera gardée par les champiers, — gardes champêtres, — nommés par les communes, et inspectée par les consuls.

Ces règles que la cour de Provence tentait ainsi, sous Louis XIII (1633), de faire observer aux usagers qui se pillaient eux-mêmes et réduisaient à presque rien, par l’abus, des droits énormes en apparence, ces règles protectrices du domaine forestier, Colbert allait, trente ans plus tard, les appliquer aux bois de l’Etat. Le ministre, dans un rapport détaillé, accusait au conseil royal telle communauté à laquelle les ducs de Bourgogne avaient, au XIIIe siècle, concédé des droits d’usage dans la forêt de Villiers-le Duc, d’avoir vendu et affermé à des tiers leur prérogative et d’avoir dégradé la forêt au point de ny laisser que des recrus ou bois de recépage. Il proposait la dépossession pure et simple des bénéficiaires.

Sous l’influence des règlemens nouveaux et surtout des idées nouvelles, la forêt publique ou privée cesse de plus en plus d’être cette bonne mère qu’un peuple de voisins, sous prétexte de paisson, de glandée, ramage ou affouage, gratte, rogne, taille et broute à l’envi les uns des autres : le tanneur y prenant des écorces, le boulanger des taillis, le potier du charbon. La forêt d’Orléans était grevée au XVIIe siècle de 133 concessions d’usage dont l’origine variait de l’an 1112 à l’an 1453, et dont beaucoup comprenaient en bloc trois ou quatre paroisses. Le procureur du duché avait pour lui seul 4 000 bûches et 1 000 fagots par an. Au XVIIIe siècle la lutte entre les usagers et le nu-propriétaire se poursuivit, tantôt ouverte, tantôt sourde, mais perpétuelle ; partout on limite, on resserre, on écorne le droit des premiers. Le commandeur de Malte, auquel appartient la forêt de Villejesus (Charente), dénie aux habitans le droit de jouissance, injurie leur syndic et les menace de les tuer s’il les trouve dans ses bois.

En présence du prix croissant du combustible, les communes se demandent si elles n’auraient pas plus de profit à faire des coupes régulières : les jurades de Châteauneuf-du-Rhône défendent d’abattre des arbres (1716), » attendu qu’une vente a rapporté 820 livres à la communauté ». Les bois que le seigneur de Taulignan (Drôme) possédait indivis avec ses vassaux, dont il leur avait, par des clauses expresses d’une charte de 1285, reconnu la libre jouissance, il demande en 1731 à ce qu’on en fasse le