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un « traité de bonne amitié et correspondance » en sept articles que D’Huxelles avait précipitamment rédigé. Mais il n’y avait plus rien à faire[1]. Les négociateurs étaient aigris les uns contre les autres, comme le sont souvent des gens qui ont disputé trop longtemps. Schafiroff se plaignait, sans grande raison, que la France eût varié dans ses propositions, et son étroite entente avec Kniphausen paraissait même suspecte à Tessé. Kniphausen était également de mauvaise humeur de la responsabilité qu’on prétendait faire peser sur lui. Aussi se montrait-il plus récalcitrant que jamais. Quand le 20 juin, Tessé se présenta chez lui pour lui soumettre ce traité de correspondance et de bonne amitié sur le texte duquel il était à peu près d’accord avec Schafiroff, Kniphausen déclara « que jamais on n’avait signé un traité, de quelque nature que ce soit, ny avec quelques pouvoirs que l’on pust avoir, sans l’avoir auparavant fait voir à son Maistre, et qu’il ne signerait point les articles soit ostensibles, soit secrets, sans en avoir donné part au sien et les lui avoir envoyés. » Tessé, retournant chez Schafiroff qui devait l’attendre, le trouva sorti. Il comprit que les deux négociateurs se dérobaient, et il écrivit une courte lettre à D’Huxelles pour lui donner le bonsoir et l’avertir que de son côté il s’en retournait à sa petite maison des Camaldules dont il déclarait, depuis quelque temps déjà, avoir le Heimweh.

Ainsi se termina, sans succès apparent, cette négociation dont le fait même est bien connu, mais dont les détails n’ont jamais été racontés, et dont l’ensemble n’a pas été apprécié très équitablement, suivant nous, du moins, par les historiens qui en ont fait mention. Faute d’être remontés aux sources, le rôle cependant si important de la Prusse leur a échappé, et ils ont adopté un peu trop facilement la version de Saint-Simon qui, égaré par sa haine contre le cardinal Dubois, attribue aux funestes charmes de l’Angleterre et au fol mépris que la France aurait fait de la Russie, l’échec de la négociation[2].

  1. D’Huxelles ne se faisait pas d’illusions sur les chances de succès de cette dernière tentative. « Au reste, Monsieur, écrivait-il à Tessé, je suis toujours persuadé que la plus grande difficulté que vous trouverez consistera en ce que vous n’offrirez plus des secours d’argent actuels ou prochains, puisqu’il paraît que c’est le but principal et peut-être unique qu’on se soit proposé en cette occasion. (Lettre à Tessé du 15 juin 1717.)
  2. M. Rambaud, dans son Introduction, a adopté cette version. Il reproche même à Tessé d’avoir fabriqué et montré aux Russes un faux traité avec la Suède. Cela n’est pas tout à fait juste. L’idée de montrer aux Russes un traité non pas faux, mais incomplet, ne fut qu’une suggestion du maréchal d’Huxelles à laquelle il ne fut donné aucune suite par Tessé. Quant au reproche que Tessé, dans ses Mémoires, adresse au nouveau gouvernement « de n’avoir eu d’autre intention que de voltiger et d’amuser le Czar », il ne faut pas oublier que ces Mémoires de Tessé sont, en réalité, l’œuvre du général de Grimoard, qui ne fait que donner ici son sentiment. M. Louis Wiesener, dans un article de la Revue des Études historiques (année 1893), nous paraît seul avoir apprécié exactement les choses.