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l’ordre de l’Académie et le rang des académiciens. » On lui fit les honneurs de plusieurs machines nouvelles, et il prit grand intérêt à tout ce qu’on lui montra. Il se plut beaucoup également à la Monnaie où le Directeur fit frapper devant lui une médaille d’or qu’il lui présenta. D’un côté était gravé son portrait et de l’autre cette inscription : Vires acquirit eundo. Il rendit également de nombreuses visites à l’Observatoire, ou bien, au contraire, il faisait venir des savons à l’hôtel de Lesdiguières pour s’entretenir avec eux, en particulier des géographes, et il leur donnait les renseignemens nécessaires pour rectifier les erreurs qu’ils avaient commises en dressant la carte de son vaste empire encore mal connu.

Ces allures si nouvelles chez un souverain avaient commencé par étonner les Parisiens. Elles finirent par leur plaire et il s’était acquis une popularité véritable. Toutefois, les femmes de la Cour le boudaient un peu. C’est qu’il n’avait guère fait de frais pour elles. « Il est peu galant, écrivait le marquis de Louville[1], ce qui ne met pas les femmes dans son intérêt. » Une question d’étiquette l’avait empêché de rendre la première visite aux princesses du sang. Quelques-unes cependant n’y tinrent pas, et le firent complimenter par un gentilhomme. A celles-là seulement il consentit à rendre visite. Ainsi avait fait Madame, la mère du Régent, qui, toute fière de l’avoir reçu, l’appelait « mon héros le Czar ». Mais un peu grosse, et rouge, par-dessus le marché, Madame, malgré tout son esprit, n’était pas faite pour lui donner une juste idée des grâces françaises. Aucune dame de la Cour ne lui fut régulièrement présentée. Ce n’est pas qu’il ne sût être aimable à l’occasion quand il le voulait. C’est ainsi que, visitant les Invalides avec le maréchal de Villars, il sut que la maréchale était là en voyeuse, comme on disait alors. Il la fit approcher et lui dit des paroles obligeantes. Dînant à Bellevue chez le duc de Tresmes, il apprit que sa fille la comtesse de Béthune était là, en voyeuse également. Aussitôt il la fit prier de se mettre à table avec lui et la combla de politesses. Mais quand la curiosité attirait les femmes en foule sur son passage, il affectait d’ignorer leur présence. Ainsi fit-il à Petit-Bourg, chez le duc d’Antin, où il alla dîner et où la duchesse de Bourbon avec un certain nombre de dames de la Cour s’étaient rendues pour le voir. Il les trouva toutes rangées dans une galerie. Mais il se borna à les saluer d’une simple inclination de tête et ne s’en fit nommer aucune.

Le séjour du Tsar à Petit-Bourg fut marqué par un épisode où brilla la bonne grâce du duc d’Antin, ce parfait courtisan, qui,

  1. Mémoires secrets du marquis de Louville. Lettre du 17 juin au duc de Saint-Aignan.