Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 137.djvu/810

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme aussi que la France garantira les conquêtes que le Tsar a faites sur la Suède, laquelle Suède ne sera point assistée d’argent, ni de troupes, directement ni indirectement. » Et comme Tessé répondait, avec juste raison, qu’il est impossible de garantir des conquêtes tant qu’une guerre n’est pas terminée, et que « tout ce qui est sujet à la variation du succès ne peut jamais être garanti », on lui répliquait avec une vivacité, qu’il rend admirablement dans une dépêche où il semble rapporter les paroles mêmes du Tsar[1] : « Eh bien ! laissez le Tsar agir comme il l’entendra sur la Suède, sans garantir ses conquêtes, mais mettez le Tsar au lieu et place de la Suède. Le système de l’Europe a changé la base de tous vos traités. La Suède quasi anéantie ne peut plus vous être d’aucun secours. La puissance de l’Empereur s’est infiniment augmentée, et moi, Tsar, je viens m’offrir à la France pour lui tenir lieu de la Suède. Je lui offre non seulement mon alliance, mais ma puissance et en même temps celle de la Prusse, sans laquelle je ne pourrais pas agir… Par moi, Tsar, la balance que l’alliance de la Suède vous devait faire, sera rétablie ; mais le grain que j’y mets l’emporte ; et de là je conclus que moi, Tsar, je dois avoir le même traitement que la Suède, puisque je vous tiendrai lieu non seulement de ladite Suède, mais que je vous amène la Prusse. »

L’offre était pressante autant que formelle, et ceux qui l’avaient faite insistaient pour avoir une réponse immédiate. « Ces gens-cy, écrivait Tessé[2] le 20 mai, me demandèrent, dès hier au soir, si j’avais réponse des ouvertures que j’avais fait faire de leurs dernières propositions. A quoy je leur répondis simplement qu’en leur gardant le secret impénétrable qu’ils m’avoient demandé, je croyais que Son Altesse Royale regardoit cette affaire comme assez importante pour y réfléchir et prendre peut-être son conseil le plus secret, pour digérer une matière d’aussi grande conséquence. »

La matière avait besoin en effet d’être digérée, car il ne s’agissait de rien moins pour la France que d’abandonner, pour une alliée nouvelle et inconnue, une alliée ancienne et éprouvée, bien qu’un peu infidèle dans les derniers temps. Il n’y avait pas moyen cependant de se dérober, et on convint que chacune des parties rédigerait séparément un projet de traité. Le projet français comprenait sept articles[3] dont le premier stipulait qu’il y aurait

  1. Aff. étrang. Corresp. Moscovie. Lettre de Tessé du 19 mai.
  2. Aff. étrang. Corresp. Moscovie, t. VII. Ce projet |de traité porte la date du 27 mai. Lettre de Tessé du 20 mai.
  3. Ibid.