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moins embarrassante, quand il l’avait établie dans toute sa sûreté, avec une politesse qui la sentait et toujours et avec tous, et en maître partout, mais qui avait ses degrés suivant les personnes… C’est la réputation qu’il laissa unanimement en France qui le regarda comme un prodige dont elle demeura charmée. »


II

Cependant le véritable but que s’était proposé Pierre le Grand en entreprenant son voyage n’était point perdu de vue. Le Tsar chargeait son vice-chancelier Schafiroff, que Tessé appelle souvent le ragot, et son ambassadeur en Hollande le prince Kourakin, qui était en même temps son beau-frère par sa première femme, d’entrer en négociations avec Tessé. De son côté le maréchal d’Huxelles, membre du Conseil de Régence et président du Conseil des Affaires étrangères, rédigeait pour l’usage de Tessé un long mémoire[1], qui devait lui servir d’instruction. Ce mémoire témoigne, à la vérité, de la part du maréchal d’Huxelles, une certaine hésitation à s’engager dans une alliance aussi nouvelle. Il recommande à Tessé « de combattre et d’éluder des engagemens précis et plus forts que ce qui convient à la correspondance et à la bonne amitié ». Mais il l’informe cependant « que Son Altesse Royale regarde comme un point important de pouvoir engager ce prince (le Tsar) de manière qu’il perde désormais toute idée de former une liaison avec la cour de Vienne, et que celles que Sa Majesté aura formées avec lui puissent servir de fondement à des engagemens plus étroits », et il fait observer avec justesse, « que comme Sa Majesté et le Tsar ne peuvent jamais avoir d’intérêts à démêler, les liaisons établies sur ces fondemens ne peuvent qu’être utiles à l’une et à l’autre puissance, sans qu’il puisse jamais en naître des inconvéniens capables d’en altérer la force, ni d’en diminuer les avantages. »

La première conférence s’ouvrait le 18 mai, avec un grand secret, pour échapper, disait Tessé « aux mouches allemandes et de toutes les nations qui observent les moindres démarches. » Dès le début, le négociateur français se trouvait en présence d’une de ces propositions précises qu’il lui était recommandé d’éluder et qui était ainsi formulée : « une amitié réciproque et une alliance fidèle, pour le ciment et le fondement de laquelle il sera fait un traité de défensive pour assurer les traités d’Utrecht et de Bade,

  1. Recueil des instructions, etc. Russie, p. 190. Mémoire pour servir d’instructions à M. le maréchal de Tessé. Ce Mémoire avait déjà été publié par le général de Grimoard dans l’ouvrage improprement appelé Mémoires de Tessé.