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créé au point de vue diplomatique et territorial un nouvel état de choses. L’Autriche ne les avait subis qu’avec impatience, et ne demandait qu’un prétexte pour les remettre en question. L’Espagne elle-même, qui n’en avait pas tiré tous les avantages qu’elle en espérait, ne les acceptait qu’à contre-cœur. Au contraire, les autres États de l’Europe, et en particulier la France, épuisée par la longue lutte qu’elle avait soutenue, voulaient sincèrement la paix. De là un nouveau groupement des forces : d’un côté la triple alliance, c’est ainsi que, depuis le traité tout récent de la Haye, on appelait l’union de la France, de l’Angleterre et de la Hollande. En face l’Autriche affaiblie, mais encore redoutable ; à côté d’elle deux puissances secondaires : l’une, la Prusse, un peu nouvelle venue dans le monde européen, remuante, ambitieuse, qui s’était rangée du côté de l’Autriche dans la guerre de la Succession d’Espagne ; de l’autre, la Suède, vieille alliée de la France depuis Richelieu, encore unie à elle par un traité qui lui assurait un subside de 600 000 écus par an, mais engagée depuis plusieurs années, par l’aventureux Charles XII, dans une guerre funeste et non encore terminée où la Russie lui avait enlevé toutes ses provinces baltiques. Enfin, au loin, sortant à peine de ses steppes et de ses forêts sauvages, la Russie.

Si la Russie, qui jusque-là n’avait paru songer qu’à ses propres affaires, intervenait dans celles de l’Europe, de quel côté se rangerait-elle ? Qu’elle se rangeât du côté de l’Autriche, qu’elle entraînât avec elle la Prusse, son alliée dans la guerre suédoise ; et, en face de la coalition anglo-franco-hollandaise, pouvait se dresser une coalition austro-prusso-russe qui la contre-balancerait exactement. Les traités d’Utrecht et de Bade, et par conséquent la paix de l’Europe, risquaient d’être remis en question, ce qui était contraire à la politique de la France.

D’un autre côté, la Russie, dont les récentes conquêtes sur la Suède n’avaient jamais été reconnues, ni ratifiées par aucun traité, qui toujours isolée n’avait jamais fait partie du concert européen, avait intérêt à tenir de quelque instrument solennel la ratification de ces conquêtes, et à entrer dans ce concert. « Toutefois, comme l’a très bien dit un des hommes qui ont étudié de plus près, dans le passé, les rapports de la France et de la Russie, M. Albert Vandal[1], le Tsar ne pouvait espérer prendre place dans ce concert et s’y faire écouter qu’à la condition d’être présenté par un ami considérable qui lui servirait de répondant… Il fallait à la Russie l’appui d’une de ces vieilles monarchies qui, grâce à

  1. Louis XV et Elisabeth de Russie, par M. Albert Vandal.