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eut l’honneur d’être présenté au Tsar, et ses lettres, qui sont demeurées inédites, au moins en France, — car elles n’ont point échappé aux intelligentes investigations des membres de la Société Impériale d’Histoire de Russie[1], — contiennent, sur l’arrivée et le séjour de Pierre Ier à Dunkerque, de curieux détails. Nous leur emprunterons ce portrait[2] :

« Le Czar est de la plus grande taille, un peu courbé et la teste penchée à l’ordinaire. Il est noir et a quelque chose de farouche dans la physionomie. Il paroit avoir l’esprit vif et la conception aisée, avec une sorte de grandeur dans les manières, mais peu soutenue. Il est mélancolique et distrait, quoique accessible et souvent familier. On dit qu’il est robuste et capable de travail de corps et d’esprit. »

Dès les premiers entretiens, il fut évident que Sa Majesté Tsarienne désirait, autant que cela serait possible, échapper au cérémonial. « Il demande, écrivait Liboy, que le Roi veuille le faire loger dans une maison particulière qui soit convenable. Il veut éviter les maisons royales. » De même, il ne voulut pas des voitures « honnestes et propres » qui avaient été préparées pour lui, mais qui étaient de lourdes berlines. Il demanda que ces voitures fussent remplacées par cinq chaises à deux roues et à deux places, de simples cabriolets, et que les relais fussent disposés de façon à gagner Paris en quatre jours. La nécessité d’attendre ces chaises le fit prolonger son séjour à Dunkerque. Une journée y fut employée par lui (c’est Liboy qui parle) à prendre médecine, les trois autres à visiter en détail, — car le Tsar avait la passion des choses maritimes, — le port, le bassin et les magasins de Dunkerque. Il fut si satisfait de sa visite qu’il demanda si l’on ne pourrait pas trouver un officier de marine, parlant le hollandais, qu’on attacherait à sa personne. Ainsi fut fait.

Liboy, cependant, avait profité de ces quatre jours pour adresser à Paris quelques renseignemens sur les habitudes de Pierre Ier[3] : « Le Czar se lève matin, dîne vers les dix heures, soupe vers les sept et se retire avant neuf. Il boit des liqueurs

  1. Société impériale d’histoire de Russie, t. XXXIV. Ce volume contient plusieurs pièces intéressantes relatives au séjour de Pierre le Grand, dont les originaux sont aux Affaires étrangères et qui sont inédites en France, entre autres les lettres de Liboy et quelques lettres du maréchal de Tessé que nous citerons plus loin.
  2. Aff. étrang. Moscovie, t. VII. Liboy au maréchal d’Huxelles, 23 avril 1717.
  3. Ibid. Lettres de Liboy, 27 et 28 avril 1717.