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populations des Duchés, de la Toscane et des Romagnes, conduites par les promoteurs du mouvement italien dans ces contrées, précipitaient, avec le concours déguisé du roi Victor-Emmanuel et de ses conseillers, leur réunion au Piémont. Dès le début de la guerre, les troupes autrichiennes s’étant concentrées en Lombardie, les ducs de Parme et de Modène, le grand-duc de Toscane lui-même avaient abandonné leurs duchés pour se réfugier à Milan. Des comités s’étaient constitués dans chacune de leurs capitales comme dans les Romagnes évacuées par les contingens de l’Autriche. Ces comités sollicitèrent et obtinrent sans peine la désignation de commissaires piémontais. Il s’était ainsi formé sur tous les points des gouvernemens provisoires, voulant tous la fusion d’un royaume unique avec le Piémont. Survint la rencontre de Villafranca, stipulant la rentrée des princes dans leurs Mats ; le roi Victor-Emmanuel y ayant adhéré, son gouvernement dut rappeler ses délégués ; ceux-ci désobéirent et conservèrent les pouvoirs qui leur avaient été confiés. Avons-nous besoin de dire qu’ils y furent encouragés clandestinement ? La correspondance de Cavour ne laisse subsister aucun doute à cet égard. « Allez de l’avant, écrivit-il à d’Azeglio à Bologne, car tout espoir n’est pas perdu. » Et à Farini, autre commissaire royal qui avait pris à Modène le titre de dictateur : « Le ministre est mort, mandait-il de sa retraite, mais l’ami applaudit à la résolution que vous avez prise[1]. »

Est-ce à dire que le roi et Cavour lui-même fussent bien résolus à reprendre les armes, à engager une nouvelle lutte avec l’Autriche ? Rien n’autorise à le penser. L’un et l’autre étaient trop convaincus, pour courir pareille aventure, que le Piémont ne pouvait s’y exposer sans l’assistance d’un allié. Mais l’armée française n’avait pas encore évacué la Lombardie ; elle y attendait, l’arme au pied, la conclusion définitive de la paix, et sa présence suffisait, on le savait à Turin, à retenir les Autrichiens en Vénétie, à les empêcher d’intervenir dans les Romagnes ou dans les Duchés. Autour du roi Victor-Emmanuel, on se reposait sur une autre garantie non moins favorable aux projets qu’on y formait. A Villafranca on avait stipulé la rentrée des princes dans leurs États et on négociait à Zurich sur cette base, avec cette restriction toutefois qu’on n’aurait, en aucun cas, recours à l’emploi de la force, et on s’était réciproquement interdit tout acte d’intervention armée. Il ne restait, dès lors, aux ducs comme au Pape, dans les Romagnes, d’autre moyen, pour reprendre possession de leur souveraineté, que d’y être conviés par les populations,

  1. Voyez la Question italienne, par Giacometti ; Plon, 1893.