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sa démission au roi dans des termes qui ne permettaient pas de la décliner.

Cet homme d’État, d’une si haute intelligence, eut, en ce moment solennel de sa vie, une défaillance qui est restée inexplicable. Avec ses facultés merveilleuses, comment n’a-t-il pas compris que l’intervention de l’Allemagne entière mettait en un grave péril, avec la sécurité de la France, la conquête même de la Lombardie ? Si bien doué que l’on soit, nul n’est à l’abri d’un égarement inconscient quand la passion se substitue au patriotisme ; Cavour paya son tribut, en cette circonstance, à la faiblesse humaine, en méconnaissant les services rendus et le devoir qui lui commandait impérieusement de rester au poste d’honneur où il se trouvait placé. Peu de mois après, il confessa hautement son erreur : « Les conséquences de la paix de Villafranca, écrivit-il le 25 janvier suivant au prince Napoléon, se sont admirablement développées. La campagne politique et militaire qui a suivi ce traité a été plus avantageuse pour l’Italie que la campagne militaire qui l’a précédé. Elle a créé, pour l’empereur Napoléon, des titres à la reconnaissance des Italiens plus grands que ceux des batailles de Magenta et de Solférino. Combien de fois, dans la solitude de Leri, me suis-je écrié : Bénie soit la paix de Villafranca. »

Les conseillers du roi Humbert et ce prince lui-même, qui règne et gouverne, se raviseront-ils à leur tour ? Reviendront-ils de l’erreur qui les a conduits à s’allier aux vainqueurs de la France ? La lamentable situation qu’ils ont créée à leur pays n’éclairera-t-elle pas leur patriotisme ? Qu’ils méditent la vie de Cavour ; elle leur apprendra de quels sentimens ils doivent s’inspirer en leur démontrant que si l’empereur n’avait pas signé la paix à Villafranca, si les Prussiens avaient, en 1859, réussi à convertir en défaites, comme ils en avaient le désir et la prétention, les victoires remportées en Lombardie par les armées alliées si étroitement unies à cette époque, l’Italie vraisemblablement subirait encore, à l’heure présente, l’injure de la domination étrangère. L’histoire, ce miroir où se réfléchissent les temps passés et qui permet de pressentir les temps futurs, ne leur enseignera-t-elle rien ?


VIII

Les accords de Villafranca ne contenaient que des préliminaires, destinés à être fixés et développés dans un traité définitif. Cette tâche fut dévolue à des plénipotentiaires qui se réunirent à Zurich. Mais pendant que les négociateurs délibéraient, les