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autres contrées de la péninsule, ne devait pas être remanié ; dans la pensée des deux négociateurs elles seraient unies par un lien fédéral sous la présidence du Pape. Tel était le plan général des combinaisons débattues et élaborées entre l’empereur et le comte de Cavour. On avait compté sans l’Allemagne. Si, au début de cette guerre l’Angleterre s’était montrée hostile et la Russie sympathique aux deux alliés, l’Allemagne s’était réservée, ou pour mieux dire, la Prusse parut prendre et vouloir observer une attitude de stricte neutralité. C’est qu’en effet, avant même l’ouverture des hostilités et pendant que l’Autriche mettait tous ses soins à s’y préparer, l’Allemagne était en quelque sorte tombée aux mains de la Prusse, et cette puissance attendait, pour prendre un parti, que les événemens lui eussent indiqué celui qui était plus conforme à ses vues ambitieuses. Nous avons dit comment M. de Bismarck, avant son départ de Francfort et après son arrivée à Saint-Pétersbourg, envisageait le rôle du gouvernement du roi dans la conjoncture qui devenait chaque jour plus imminente. Il avait écrit, en mars 1859 : « Un grand État, qui peut et veut asseoir sa politique sur les bases de ses propres forces, ne doit prêter la main à une concentration plus grande des élémens fédéraux que s’il est capable de s’en assurer la direction », et il estimait, nous le répétons, que la guerre d’Italie offrait à la Prusse « une occasion, qui ne se présenterait pas de sitôt », de ressaisir sa liberté d’action et de conquérir, sur tous les États de la confédération, une situation prépondérante. On s’inspira de ses vues autour du roi Guillaume et on laissa la guerre s’engager en observant une entière réserve. Les premières défaites de l’armée autrichienne soulevèrent cependant le sentiment public dans tous les États germaniques, et le cabinet de Berlin jugea le moment venu de se concerter avec ses confédérés. On décida de mobiliser les contingens. La Prusse, n’ayant plus à compter avec l’Autriche au sein de la Diète, prit la direction de ce mouvement, mais au lieu de conduire les forces fédérales au secours des vaincus de Magenta, elle les concentra sur le Rhin, menaçant nos frontières. Aucun des deux empereurs qui combattaient en Italie ne s’abusa sur les véritables intentions du cabinet de Berlin, et ils se hâtèrent de conclure la paix à Villafranca pour faire face, pourrions-nous dire, à l’ennemi commun et déjouer ses projets. Le roi Victor-Emmanuel accéda à cette paix, reconnaissant qu’elle s’imposait impérieusement à son allié devant l’attitude prise par la Prusse.

Tel ne fut pas le sentiment de Cavour. La Lombardie était délivrée, mais la Vénétie, avec le quadrilatère, restait aux mains de l’Autriche ; le programme de Plombières n’était pas rempli. Il se révolta, et de Turin, où il dirigeait tous les services, il envoya