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On attendait davantage à Turin, et on y fut en quelque sorte déçu. Ce sentiment se fit jour dans les Chambres piémontaises où les opposans de gauche et de droite accusèrent le gouvernement du roi d’avoir, en pure perte, imposé au pays des sacrifices considérables. Cavour sut redresser le sentiment du Parlement et il termina son discours, aux applaudissemens de l’Assemblée, en résumant la discussion en ces termes : « Les vues, dit-il, qui nous ont guidés dans ces dernières années nous ont fait faire un grand pas ; pour la première fois dans le cours de notre histoire, la question italienne a été portée et discutée devant un congrès européen, non pas, comme à Laybach ou à Vérone, afin d’aggraver les maux de l’Italie et de lui river de nouvelles chaînes, mais dans l’intention, hautement proclamée, de chercher un remède à ses maux et de faire connaître les sympathies des grandes puissances envers elle. » Les événemens ultérieurs ont démontré que ce puissant esprit avait mis en bonne voie les intérêts de son pays en leur donnant un point de départ solide et judicieux.

Mais quelles étaient réellement, à cette époque, les vues d’avenir, les espérances du comte de Cavour ? Son ambition entrevoyait-elle déjà la constitution de l’Italie en un royaume unique au profit de la maison de Savoie ? Aux hommes dont le génie a dompté les caprices de la fortune, on prête aisément des calculs et une prescience qui ne sont guère l’attribut de la nature humaine. L’étude réfléchie des actes et des sentimens de Cavour, au moment de sa vie où nous sommes arrivé, porte à croire que son unique objectif était alors l’affranchissement du Nord de l’Italie ; l’état de l’Europe et même l’état de l’Italie n’en comportait pas un autre. Il espérait bien que le Piémont sortirait du conflit agrandi du royaume lombardo-vénitien ; ce résultat flattait à la fois son cœur de Piémontais et d’Italien ; il n’avait jamais formé aucun autre vœu depuis son entrée dans la vie publique. Il pressentait si peu une fusion de toutes les contrées italiennes qu’il n’avait jusque-là conçu et exposé que des combinaisons exclusives de toute unité. Durant son séjour à Paris, lors de la réunion du Congrès, il en suggéra plusieurs, notamment dans une note remise aux plénipotentiaires de la France et de l’Angleterre, qui toutes se conciliaient avec l’état territorial de la péninsule, tel qu’il existait à cette époque ; elles en garantissaient même le maintien. Les vues dont il s’inspirait avaient été professées par Gioberti, vulgarisées par Balbo, ses collègues dans son premier ministère, et elles avaient passionné les meilleurs esprits. Au dire de son plus intime confident il n’en aurait agréé aucune autre[1].

  1. Œuvre parlementaire du comte de Cavour, par Artom et Blanc. Préface par Artom, p. 7.