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bonne posture qu’il se constitua l’ardent initiateur de toutes les combinaisons économiques que nous avons déjà rappelées et qui, dans ses prévisions, étaient destinées à devenir les instrumens d’une politique rémunératrice.

Avec une audace qui lui a été longtemps reprochée, il saisit la première occasion qui lui fut offerte pour mettre son programme en pleine exécution. Elle lui fut fournie par la guerre d’Orient. Sans aucune nécessité appréciable, il conclut un traité d’alliance avec la France et l’Angleterre, et l’Europe étonnée vit apparaître en Crimée un corps de troupes piémontaises. Il faut lire les débats auxquels cette résolution donna lieu dans les Chambres sardes pour se rendre compte de la témérité du comte de Cavour en cette circonstance. On soutint que le Piémont déclarant la guerre à la Russie sans cause impérieuse, sans avantages éventuellement probables, se rendait coupable d’un acte inconsidéré imposant au pays des sacrifices de toute nature, et que nulle raison ne semblait autoriser. Ce fut le thème de l’opposition qui recruta de nombreux adhérens, en cette circonstance, même sur les bancs de la majorité. Dans aucun autre moment, Cavour ne dut employer davantage toutes les ressources de son esprit, toutes ses habiletés parlementaires pour triompher des défiances et des inquiétudes que sa brusque détermination avait soulevées.

Dans quelle pensée le comte de Cavour a-t-il engagé le Piémont dans une guerre où aucun intérêt ne semblait l’appeler ? Il voulut associer les armes de son pays à celles des deux puissances occidentales dans la persuasion qu’au moment de la conclusion de la paix, le gouvernement du roi Victor-Emmanuel serait admis, en sa qualité de belligérant, à participer aux négociations et qu’il y trouverait l’occasion, en dépit de l’Autriche, de provoquer, devant l’Europe assemblée, un débat international sur la situation de l’Italie.

Ce débat surgit en effet, dans la séance du 8 avril du congrès de Paris ; Cavour y prit part et, secondé par les plénipotentiaires de la France et de l’Angleterre, il put dénoncer, avec l’état troublé de la péninsule, les usurpations successives de l’Autriche, impliquant une violation permanente des traités de 1815. Cette discussion, n’étant pas prévue au programme du congrès, se borna à un échange d’observations contradictoires, mais elle eut un grand retentissement à raison du milieu où elle s’était produite et des éventualités qu’elle faisait pressentir. Pour les esprits avisés elle fut la préface ou le prologue d’événemens prochains. Le comte de Cavour se proposait uniquement en ce moment de saisir l’opinion publique, d’agiter devant elle la question d’Italie, et il y réussit pleinement.