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sentiment national dans toutes les contrées de l’Italie et les unirait dans les mêmes vues patriotiques.

Si déjà, au moment où il est monté au pouvoir, le statut pié-montais laissait entrevoir, à l’Italie entière, les avantages des institutions nouvelles, rien, avant lui, n’avait été tenté pour tirer le pays du régime des privilèges et de la protection dans lequel il s’était endormi, vivant de vieilles pratiques et d’un outillage suranné. Nourri des doctrines modernes dont il avait mûrement étudié tous les ressorts dans ses voyages en France, et plutôt encore en Angleterre, aidé par l’expérience qu’il avait acquise en se faisant lui-même agriculteur et industriel, Gavour ne perdit pas un jour ; et dès le lendemain de son arrivée au pouvoir il employa ses forces et son temps à préparer la réforme radicale du système économique dans lequel le Piémont s’était attardé. Cette étude terminée, et après avoir arraché à ses collègues du cabinet leur entrer assentiment, il noua des négociations qui aboutirent à la conclusion de nouveaux traités de commerce et de navigation avec la France, l’Angleterre et la Belgique, avant la fin de 1850 et au commencement de l’année suivante, c’est-à-dire quelques mois seulement après son élévation au ministère. Quelques intérêts s’alarmèrent, à l’instigation des bénéficiaires du vieux système ; et le comte de Cavour dut soutenir, devant les Chambres, une lutte acerbe qui se termina à son avantage, grâce à la puissance de son argumentation. On lui reprochait notamment de n’avoir obtenu de la France que des concessions illusoires ou insuffisantes ; voici comment il répondit à ce reproche, et nous citons ce court passage de ses nombreux discours parce qu’il résume ses opinions personnelles et révèle la source à laquelle il puisait ses enseignemens : « Je crois fermement, dit-il, que le moyen d’amener la France à des tendances plus libérales est plutôt de lui prêcher la liberté par l’exemple que de chercher à la lui imposer par des procédés coercitifs. Les hommes d’Etat anglais ne font pas autrement. » Les hommes d’Etat italiens, de notre temps, font le contraire.

Ces réformes eurent un résultat immédiat ; elles imprimèrent un élan nouveau au commerce, à l’agriculture, même à la spéculation qui ne s’était jamais montrée fort ardente dans le royaume de Sardaigne, si on en excepte la place de Gênes ; et le trésor en recueillit des bénéfices qui furent appréciés par tous les partis. Dès ce moment la réforme, inaugurée par le comte de Cavour, ne rencontra plus de contradicteurs. Il en a surgi plus tard, longtemps après la mort de son initiateur. Les tarifs prohibitifs, différentiels et autres, ont retrouvé leurs défenseurs parmi les héritiers de la génération qui a constitué l’Italie. Ont-ils mieux servi leur pays,