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l’abolition des droits sur les céréales. Cette réforme répondait à ses opinions et il y applaudit avec enthousiasme. Il ne pénétra guère dans la société de Londres ; il l’aperçut à peine dans les salons de lord Lansdowne, foyer hospitalier où, comme tous les étrangers de marque, il rencontra un accueil cordial et bienveillant. Il avait été conduit en Angleterre par son vif désir d’étudier les perfectionnemens introduits dans l’industrie agricole, et c’est à ce besoin qu’il consacra tous ses instans, parcourant les comtés, visitant les fermes, examinant attentivement les soins donnés à la terre, procédant ainsi à une enquête minutieuse pour s’éclairer lui-même et trouver le moyen d’améliorer ses propres exploitations agronomiques et industrielles.

N’ayant reçu d’autre instruction que celle qui lui avait été donnée à l’école militaire de Turin, le comte de Cavour se défiait de sa culture littéraire. Il se croyait en outre dépourvu de toute imagination. « La folle du logis, disait-il, est chez moi une vieille paresseuse. » Il aborda néanmoins deux questions qu’il avait attentivement étudiées pendant son séjour en Angleterre : les revendications de l’Irlande et l’abolition des taxes pesant sur les céréales, l’une et l’autre fort agitées en ce moment de l’autre côté du détroit. Ces publications furent très remarquées à Londres et commentées élogieusement par la presse.

Encouragé par ce succès, il se livra à une étude sur les chemins de fer, dont l’Italie était encore dépourvue à cette époque. Nous rappelons ce travail parce qu’il osa y manifester ses aspirations patriotiques qu’il était téméraire de faire vibrer en ce moment. Il y soutenait en effet que la construction de ces voies rapides engendrerait « le rapprochement des populations jusque-là étrangères les unes aux autres, l’union qu’il était si nécessaire de voir s’établir entre les différens membres de la famille italienne afin de mettre le pays à même de profiter, pour l’affranchir de toute domination étrangère, des circonstances politiques favorables que l’avenir doit amener… la conquête enfin de l’indépendance nationale, bien suprême que l’Italie ne saurait atteindre que par la réunion de tous ses enfans… par l’action combinée de toutes les forces vives du pays, c’est-à-dire par les princes nationaux franchement appuyés par tous les partis. » Pour la première fois, le comte de Cavour, n’ayant encore d’autre notoriété que celle de sa naissance, révélait, hautement et sans détours, l’objet de ses pensées intimes. Voilà comment il se préparait à ses futures destinées. Son instinct lui répétait, depuis son adolescence, qu’elles seraient hautes et qu’elles étaient prochaines. À Paris, à Londres, à Genève, dans des entretiens confidentiels, s’épanchant avec ses amis, il avait souvent soulevé un coin du voile couvrant l’avenir