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développées dans un milieu que de vieilles traditions rendaient accessible aux mouvemens patriotiques. Dès ce moment, il eut, de la liberté ou plutôt des doctrines qui l’ont engendrée, une conception large et impérieuse. On envisageait à Turin autrement qu’à Gênes les événemens dont Paris avait été le théâtre. Charles-Albert n’avait rien oublié, et après son avènement au trône, en 1831, Cavour fut envoyé au fort de Bard qu’on jugeait opportun de mettre en bon état de défense. Cette disgrâce le blessa ; six mois après il donnait sa démission et il rentrait dans ses foyers.

Les deux futurs premiers ministres s’engageaient ainsi dans des voies opposées. Ni l’un ni l’autre n’en devait dévier, et pendant les années qui précédèrent leur entrée au pouvoir, chacun d’entre eux raffermissait, dans l’étude et la méditation, ses propres convictions. Désireux de donner un emploi à son activité, Cavour obtint de son père de prendre la direction d’un de ses domaines, celui de Leri, et d’en assumer personnellement l’exploitation. Il s’y dévoua tout entier et, jusqu’au moment où la politique le ressaisit de nouveau, il employa ses puissantes facultés, non sans succès, à faire fructifier les terres dont l’administration lui avait été confiée. Sa nature de novateur le servit aussi bien que son besoin d’utiliser ses forces et son temps.

Il se fixa à Leri, et sans difficulté, sans redouter aucune besogne, sans se laisser rebuter par les exigences de son nouveau labeur auquel rien ne l’avait préparé, il se constitua, de par sa propre volonté, un cultivateur obstiné et ingénieux. Ne se bornant pas à améliorer les cultures traditionnelles et nationales, il en introduisit de nouvelles en employant tous les moyens de perfectionnement révélés par la science agricole, en faisant, le premier en Italie, usage de machines qui étaient une nouveauté pour les paysans piémontais, surpris et émerveillés par ces auxiliaires inconnus. C’est pendant ces années d’un rude exercice que Cavour fut conquis par les études économiques. Dans son désir toujours impérieux de bien apprendre pour mieux faire, il se mit en rapport avec des savans et des agronomes, et, ne se contentant pas de tirer de la terre tous les fruits qu’elle pouvait donner, il s’enquit, par l’étude et par la discussion, des meilleurs moyens d’en trouver l’emploi le plus avantageux. Il les rechercha avec passion et il fut ainsi conduit à méditer les lois de l’échange et des transactions entre pays divers. Parvenu au pouvoir, il put, grâce aux notions acquises, remanier tout le système économique de la Sardaigne, et c’est en maître, aidé par l’observation et l’expérience, qu’il put, au grand profit du pays, s’acquitter de ses nouveaux devoirs.

Bien qu’il se fût dévoué tout entier à sa tâche d’agriculteur,