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LE CONFLIT SERBO-CROATE


I

Les populations chrétiennes de la péninsule balkanique commencent à découvrir, dans la question d’Orient, cette particularité que l’Europe, fort divisée quand il s’agit de la résoudre, du moins par rapport à elles, s’est mise d’accord pour la transposer. Cette question a trouvé le chemin de la sensibilité publique, il y a quelque soixante ans, grâce au romantisme, qui depuis l’a léguée à la philanthropie, et c’est aujourd’hui encore au titre humanitaire qu’elle se pose devant l’opinion. Auparavant, la politique l’avait idéalisée à sa manière, et élevée au rang d’un problème classique, en la présentant comme le perpétuel mobile de l’ambition des tsars. Et c’est ainsi que depuis près d’un siècle elle s’offre à nous comme un conflit entre les instincts généreux du monde civilisé et l’appréhension de compromettre l’équilibre européen : conflit qui procède, au fond, d’une idée commune, savoir que la marée ottomane, en se retirant, découvre une sorte de nouveau monde, dont les habitans, jetés hors de leur voie historique, en ayant perdu la trace, sont devenus en quelque manière les enfans trouvés de la civilisation européenne et attendent de son patronage la formule qui décidera de leur avenir.

La race jugo-slave, qui peuple la plus grande partie de cette péninsule, interprète autrement son histoire et sa vocation. Au temps où la sève grecque ne fournissait plus ni hommes de gouvernement ni soldats contre le péril turc en perspective, cette race commençait à s’organiser, déjà riche de héros, de traditions, d’épopées, déjà digne d’aspirer, à plus juste titre que les Moscovites