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longueur du séjour que l’empereur prolonge à Balmoral, lorsqu’on le compare à la brièveté de celui qu’il a fait à Vienne et à Breslau et de celui qu’il fera chez nous, montre bien que les sentimens de famille y sont pour beaucoup. Au surplus, l’empereur est seul ; il n’a aucun de ses ministres auprès de lui. D’autre part, il est souverain absolu, et moins que tout autre il n’a besoin de ses ministres pour éclairer sa conscience et pour fixer sa volonté. Il ne faut donc rien exagérer. Tout porte à penser que, si la politique ne tient qu’une place secondaire dans les entretiens de Balmoral, elle n’en sera pourtant pas exclue. Ce n’est pas seulement pour présenter ses respects à l’empereur que lord Salisbury lui a demandé une audience, et qu’il est venu passer plusieurs jours dans le vieux château d’Ecosse où la reine Victoria a établi sa résidence d’été. Les télégrammes ne parlent que de parties de chasse entre le prince de Galles et son neveu ; mais tout le monde sait que le prince de Galles, au milieu des loisirs que lui impose une longue attente du trône et qu’il remplit de manières très diverses, est resté un habile diplomate, toujours prêt à bien servir les intérêts de son pays. La popularité dont il jouit est, ne fût-ce qu’à ce point de vue, des plus légitimes. L’empereur de Russie, placé entre la reine Victoria qui vient de célébrer la soixantième année du règne le plus heureux et le plus fécond de l’histoire d’Angleterre, le prince de Galles, le marquis de Salisbury, n’échappera certainement pas aux préoccupations politiques si naturelles dans un pareil milieu. Et ces préoccupations, si on en juge par le ton de la presse depuis quelques semaines, sont aujourd’hui aussi vives qu’elles l’aient jamais été. Non pas, certes, que les intérêts de l’Angleterre soient compromis, menacés, ou même exposés sur aucun point du monde ; rien ne justifierait un pareil jugement ; mais si l’opinion n’est ni inquiète, ni alarmée, elle n’en est pas moins fort troublée, et les agitations qu’elle éprouve depuis quelques semaines ne peuvent être comparées qu’à celles de l’atmosphère : or le vent a rarement soufflé d’une manière plus anormale, ni plus déconcertante, et les oscillations du baromètre témoignent une sorte de déséquilibre et d’affolement dans les régions supérieures. L’arrivée du tsar en Angleterre était impatiemment attendue comme si elle avait dû ramener un peu de calme dans les esprits si violemment secoués : aussi le ton des journaux s’est-il modifié d’une manière assez sensible avant même que le jeune empereur ait touché le sol britannique, et dès qu’il a été, en quelque sorte, en vue.

C’est la situation de l’Orient qui a produit l’effervescence à laquelle nous faisons allusion. Les massacres arméniens ont provoqué partout la même réprobation et la même horreur. Ce sentiment, on nous permettra de le croire, n’a pas été plus vif en Angleterre que dans d’autres parties de l’Europe ; mais peut-être s’y est-il manifesté par des explosions plus éclatantes, et cela pour deux motifs. Le premier est que le