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de ses rivales. Dans toutes les villes d’Italie elle entretenait de véritables espions, chargés de lui décrire par le menu les robes et les coiffures nouvelles. Elle en entretenait auprès de sa sœur Béatrice, auprès de Renée d’Este, auprès de Lucrèce Borgia. « Je vous prie, écrivait-elle en 1502 à son frère, de continuer à me rendre compte jour par jour des diverses toilettes de notre commune parente. » En 1510, apprenant que la reine de France avait projeté de venir en Italie, elle mandait en grande hâte au comte de Pianella de la renseigner sur le luxe de cette princesse. Elle voulait tout savoir, le nombre et la couleur des robes, la forme des bonnets, la valeur des bijoux. Le linge même des dames françaises la préoccupait : elle aurait été inconsolable de penser que quelqu’un, de par le monde, avait de plus belles chemises ou des jupons de meilleure qualité. Et il n’y avait pas jusqu’à sa lointaine admiratrice la reine de Pologne, dont elle ne fût secrètement jalouse : elle se faisait envoyer par Tommaso Manfredi« un inventaire détaillé de sa garde-robe. » N’est-ce pas là une Isabelle d’Este assez imprévue ? Et se serait-on attendu à trouver ces petits artifices de coquetterie féminine chez la noble et charmante inspiratrice des maîtres italiens de la Renaissance ?

Une étude de M. Barrili, que vient de publier l’Antologia, ne touche à l’histoire de l’art que très indirectement. Elle a surtout pour objet de raconter la vie et d’analyser les ouvrages d’un écrivain génois du XVIIe siècle, Antoine-Jules Brignole-Sale, auteur d’un recueil de Larmes poétiques, de deux romans, d’innombrables comédies, et d’une série de contes à la manière de Boccace. Mais je crains que malgré son zèle et sa bonne volonté M. Barrili n’échoue à tirer de l’oubli, où elles gisent depuis deux siècles, les œuvres élégantes et inutiles de ce polygraphe, tandis que le récit de sa vie ne peut manquer d’intéresser toute personne ayant gardé le souvenir des musées d’Italie. Antoine-Jules Brignole, en effet, est ce superbe cavalier aux traits délicats et aux grands yeux pensifs dont on voit le portrait, peint par Antoine Van Dyck, dans le salon d’honneur du Palais Rouge de Gênes. Et c’est aussi le mari de cette adorable jeune femme vêtue de velours vert, dont on voit le portrait en face du sien. Qui ne se rappelle son doux visage si grave et si calme, la grâce sereine de son attitude, sa main droite tenant une rose épanouie ? Qui ne l’a tout de suite aimée, en l’apercevant ? Et lorsque nous avons lu dans notre guide que cette femme charmante a été la maîtresse de Van Dyck, ne nous a-t-il point semblé que, même sans qu’on nous l’apprît, nous l’aurions deviné ? L’amour seul, évidemment, avait pu inspirer au jeune peintre une œuvre à la fois aussi pure et