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de Paul Véronèse. Seule lui appartenait en propre sa manière d’utiliser, pour un ensemble harmonieux, tant d’élémens empruntés ; et si ce n’est point-là, à coup sûr, cette originalité absolue que se plaisent à lui attribuer ses admirateurs, c’est du moins, de toutes les originalités artistiques la plus précieuse, et la plus légitime.

L’esthétique et l’histoire de l’art occupent, d’ailleurs, une place considérable dans les revues italiennes de ces mois derniers. Je ne parle pas seulement de publications spéciales, telles que ces Archives historiques de l’art italien qui sans cesse mettent au jour des documens nouveaux ; mais jusque dans les revues les plus mondaines, et dans celles où la politique, naguère, primait tout le reste, il me semble que la part faite aux questions artistiques s’est singulièrement élargie. C’est ainsi qu’en plus du remarquable travail de M. Ricci, la Nuova Antologia a publié, coup sur coup, une étude de M. Venturi sur les Anges dans la peinture italienne, des recherches de M. Fambri sur les richesses, d’art de la Vénétie, des comptes rendus de fouilles archéologiques, et une très intéressante série d’articles sur les toilettes, les bijoux, les meubles, en un mot sur tous les objets d’usage familier qu’a eus eu sa possession la fameuse Isabelle d’Este, marquise de Mantoue.

Dus à la collaboration de MM. Alexandre Luzio et Rodolphe Renier, ces articles ne sont en réalité qu’un long inventaire, une façon de catalogue descriptif dont aucun résumé ne (peut donner l’idée. Mais Isabelle d’Este a joué un si grand rôle dans le mouvement artistique de la Renaissance, que ses moindres relations avec les artistes de son temps ont aujourd’hui de quoi intéresser l’historien. De chacune de ses robes est sortie une mode nouvelle ; les premiers orfèvres de l’Europe se sont disputé l’honneur de lui fournir des bijoux ; et ce n’est point par simple flatterie que la reine de Pologne, lui écrivant de Cracovie à propos d’un détail de toilette, l’a appelée « la source et l’origine de toutes les élégances italiennes. » Aussi ne pouvons-nous savoir trop de gré à MM. Luzio et Renier de tant de renseignemens qu’ils nous ont offerts sur son mobilier et sa garde-robe. Une époque entière, grâce à eux, revit sous nos yeux, l’époque la plus élégante, la plus somptueuse, la plus imprégnée d’art qu’il y ait eu jamais.

Et ils nous font voir, de plus, combien cette époque a peu différé des autres, ou plutôt combien, sous l’énorme différence des mœurs et des usages extérieurs, le fond de la nature humaine reste toujours immuable. Les mêmes passions qui agitent aujourd’hui nos cœurs, régnaient il y a quatre siècles à la cour de Mantoue. Les femmes y avaient plus de goût, les hommes plus d’énergie et des façons plus