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importance croissante. Il associe plus librement les timbres de l’orchestre et en tire des effets plus vivans, plus expressifs. Ses développemens, toujours fondés sur l’unité thématique, deviennent aussi plus étendus, plus riches en contrastes. Entre l’Andante et le Finale, il introduit le Menuet, comme un intermède destiné à soulager l’attention, et sans qu’on puisse affirmer qu’il s’en soit le premier servi, c’est lui du moins qui lui a donné sa coupe et son caractère propre, grâce au charme piquant de ses deux motifs et à la franchise de leurs rythmes très nettement opposés. Plus tard, enfin, comme il était de ceux qui apprennent toujours, sa longue vie lui avait permis de profiter des progrès réalisés dans l’art musical par Mozart, et après avoir été le précurseur de celui-ci, il devait en quelque sorte devenir son continuateur. Ses dernières symphonies, particulièrement les douze qu’il composa pour l’Angleterre, dénotent, en effet, l’influence que ce jeune émule, pour lequel il professait autant d’admiration que d’amitié, avait exercée sur lui, et il se plaisait lui-même à reconnaître que jamais il n’avait entendu jouer de musique de Mozart sans en tirer un profit personnel.

L’existence de Haydn fut remplie tout entière par la pratique et l’amour de son art. Vers la fin, les honneurs ne lui avaient pas manqué : ses deux voyages à Londres, à travers l’Allemagne, ne furent qu’une suite d’ovations ; il était nommé par acclamation correspondant de l’Institut de France et membre de l’Académie de Stockholm. A Vienne, ses compatriotes étaient fiers de lui et lui prodiguaient les témoignages les plus éclatans de leur sympathie. On sait quelle scène touchante avait provoquée, dans l’hiver de 1808, l’exécution solennelle des Saisons, dirigée par Salieri. La plupart de ses confrères y assistaient, et, sur le seuil de la salle, ils l’avaient reçu pour le complimenter. Aux applaudissemens unanimes de la foule qui s’était levée à son entrée, le Vater Haydn avait été porté comme en triomphe à la place d’honneur qui lui était réservée à côté de la princesse Esterhazy et d’autres dames du plus haut rang. Durant la soirée, celles-ci, afin de le préserver du froid, s’étaient dépouillées de leurs pelisses pour entourer ses genoux, et quand le noble vieillard, cédant à la fatigue et à l’émotion, dut quitter la salle après la première partie, ce fut au milieu des marques de respect et des acclamations les plus enthousiastes.

Cet hommage que lui rendaient ses compatriotes, et auquel il ne devait survivre qu’une année à peine, Haydn l’avait mérité aussi bien par son talent que par la loyauté et la bienveillante égalité de son caractère. Incapable de jalousie, il rendait pleine