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repas ne devant être ni trop sérieux, ni trop bruyans. Haydn s’attachait à plaire à ses maîtres et à varier son répertoire. Régulier, laborieux, correct dans ses allures et dans sa mise, il s’asseyait chaque matin devant sa table de travail sur laquelle étaient rangés en bon ordre du papier tracé et des plumes taillées avec soin. Il donnait un nombre d’heures déterminé à cette tâche journalière, et sans qu’il eût jamais à attendre l’inspiration, les productions succédaient aux productions dans son œuvre, qui ne comprend pas moins de 118 symphonies, 83 quatuors pour instrumens à cordes, et 103 morceaux pour le baryton, un instrument oublié aujourd’hui, à peu près semblable à la viola di Gamba, et pour lequel le prince Esterhazy, qui en jouait lui-même, avait une prédilection particulière.

Haydn, bien qu’il ait écrit pour la voix humaine un grand nombre de chants avec accompagnement de clavecin, des chœurs et jusqu’à dix-neuf opéras, ne montre pas sous ce rapport tout ce qu’il vaut. Ce sont, pour la plupart, des œuvres improvisées, faites pour divertir les hôtes du prince. Le maître n’y attachait pas lui-même grande importance, estimant qu’avec plus d’étude et de soin il aurait pu, lui aussi, devenir un des premiers compositeurs dramatiques, car « il est, disait-il, plus facile de composer avec l’aide d’un texte que privé de ce soutien. » En dépit de sa facilité naturelle, il éprouva plus d’une défaillance pour terminer son bel oratorio des Saisons. « Ce sont les Saisons, écrivait-il peu de temps avant sa mort, qui m’ont donné le coup de grâce ; j’ai passé quelquefois des jours entiers à piétiner sur place et à peiner plus qu’on ne pourrait croire. » En revanche, il se sentait à l’aise dans le domaine de la musique instrumentale, et c’est en ce genre qu’il a le mieux manifesté tout son génie. La forme de ses premières symphonies n’a cependant rien de nouveau. Coupées sur le patron de la sonate, telle que Ph. Emmanuel Bach l’avait établie, elles ne comprennent que trois morceaux : une Introduction qui, tout en préparant l’Andante, contraste avec lui ; puis cet Andante d’un caractère plus grave, qui est, à proprement parler, le centre de la composition, et en dernier lieu le Finale qui, avec un mouvement plus rapide, conclut par un motif encore plus animé. Quant au fond même de l’orchestre, c’est en réalité le quatuor des instrumens à cordes sur lequel se greffent, timidement d’abord, quelques instrumens à vent qui mettent un peu de variété dans la sonorité et sont le plus souvent chargés d’amener les rentrées. Comprenant peu à peu tout le parti qu’il peut tirer d’une forme musicale qui convenait si bien à son tempérament, Haydn, sans se poser en novateur, lui donne avec le temps une