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avait su faire de ses trois parties logiquement enchaînées un tout harmonieux et créer ainsi un genre de composition dont après lui l’ordonnance devait être respectée. Déjà même de véritables essais de symphonie s’étaient produits en Italie avec Jomelli et G. B. Sammartini, qui comptaient aussi à Vienne de nombreux admirateurs. En France, malgré les sarcasmes de J. -J. Rousseau, qui dénie à la musique instrumentale toute valeur propre, un compositeur dont M. Brenet vante avec raison l’originalité, F. -J. Gossec, augmente les parties de l’orchestre et leur donne dans ses symphonies une importance pareille à celle qu’elles devaient prendre chez Haydn. Après s’être exercé dans tous les genres, Gossec est aujourd’hui presque oublié, parce qu’il a été dépassé dans tous ; mais au point de vue historique, sa valeur propre est très réelle, car il a exercé sur ses contemporains une influence légitime.

En Allemagne aussi, un maître de chapelle de la cour de Cassel, Jean Agrelle, Suédois de naissance, avait fait exécuter de 1725 à 1769 plusieurs symphonies qui ne sont, à tout prendre, que de simples quatuors auxquels il avait adjoint quelques instrumens, sans que leur rôle fût encore bien nettement défini. Peu après, d’autres compositeurs, attachés, comme lui, à ces petites cours d’Allemagne qui devaient si utilement contribuer au développement du goût musical, avaient écrit un assez grand nombre de symphonies, Mais ces ouvrages, en général fort courts et destinés à être joués pendant les repas, étaient plus ou moins taillés sur le même patron et ne présentent plus aujourd’hui qu’un intérêt rétrospectif.

On le voit, ainsi qu’il arrive souvent dans l’histoire de l’art, le moment était venu où le génie d’un homme pourrait tirer parti de tant de progrès réalisés et donner à tous ces élémens épars la cohésion nécessaire. C’est à Joseph Haydn que cette gloire était réservée. Les circonstances de sa vie semblent d’ailleurs l’avoir admirablement préparé à la mission qu’il devait remplir. Sa naissance, il est vrai, était des plus humbles ; mais le fils du pauvre charron de Rohrau trouvait autour de lui le goût de la musique répandu parmi les siens. Les jours de fête, ou chaque soir après le travail de la journée, c’était la récréation de la famille de chanter ou de jouer en parties des airs populaires. Aussi la vocation de l’enfant s’était manifestée de bonne heure, et quand il fut temps pour lui de prendre un métier, il voulut, être musicien. Comme chanteur de maîtrise, il avait pu se familiariser avec des productions de l’ordre le plus austère, et la précocité de son talent lui avait conquis l’affection de ses professeurs ; mais au moment