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taillées sur le même patron. Ainsi encouragés, ces orchestres deviennent à la fois plus nombreux et plus habiles, et les exécutans se groupent en corporations reconnues et soudoyées par les princes. Déjà commence à se dessiner le contraste entre la musique italienne et la musique allemande, et tandis que le rôle de la voix humaine reste prédominant dans la première, l’instrumentation est plus nourrie dans la seconde. Mais les élémens de l’orchestre sont encore trop incohérens, les formes musicales trop peu fixées pour que les œuvres instrumentales et l’interprétation qu’elles sont susceptibles de recevoir offrent une ampleur et un intérêt suffisans.

Par le développement qu’il donne à l’ouverture, par les instrumens qu’il y introduit et la façon dont il les combine entre eux, Lulli imprime un nouvel essor à la musique instrumentale. La coupe de ses ouvertures demeure cependant assez uniforme. D’ordinaire, elles débutent par un thème lent et grave, auquel succède un motif d’une allure plus rapide ; puis elles se terminent par la reprise du premier mouvement. Connues sous le nom d’Ouvertures françaises, ces compositions servent de modèles en Italie et en Allemagne, et non seulement on y copie leur forme, mais on se contente même quelquefois de les exécuter telles quelles, sans en indiquer l’auteur, sans se préoccuper de leur caractère. Scarlatti, en renversant l’économie de la coupe adoptée par Lulli, donne à l’ordre des mouvemens une succession plus logique. Au lieu d’être placé en tête, le motif grave, mis au milieu, est encadré par deux autres motifs plus animés : le premier assez modéré, le dernier plus brillant et plus vif. Par cette préparation, le compositeur amène en quelque sorte le public aux impressions plus sérieuses et plus intimes qu’il se propose d’exciter en lui. Mais afin de ne pas prolonger outre mesure la durée de ces impressions, il conclut avec éclat, et en même temps qu’il trouve dans ces oppositions de rythmes un élément de contraste et de vie, il règle la conduite de son œuvre sur une progression plus naturelle des sentimens humains.

Ainsi modifiée, l’ouverture, tout en continuant à servir d’introduction aux opéras pour lesquels elle était faite, prend aussi place parmi ces pièces détachées que l’on commençait à rassembler sous le nom de Suites, et peu après sous celui de Sonates. Ces pièces séparées, bien que chacune d’elles fût courte, formaient des recueils assez étendus dans lesquels, sans offrir entre elles d’autre lien que celui de l’unité du ton, elles se présentaient cependant selon un ordre déterminé. Les airs de danse en formaient généralement encore la plus grosse part, et comme, à