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sur la nature de la musique elle-même, sur le but qu’elle se propose et sur les moyens qu’elle a d’y atteindre.

Afin de mieux fixer nos idées, supposons-nous en présence d’un de ces orchestres d’élite qui se consacrent à l’interprétation des chefs-d’œuvre classiques. L’instrument que tient en main chacun de ses artistes est le résultat de tâtonnemens multipliés et d’une longue suite de combinaisons imaginées pour améliorer la qualité du son et le mécanisme de cet instrument. Avant qu’il ait reçu sa forme actuelle, de nombreuses générations se sont appliquées à le perfectionner. Les dispositions ingénieuses de sa structure, ces courbes si délicatement infléchies, ces épaisseurs renforcées ou amoindries afin d’assurer la pureté de son timbre, n’ont été fixées qu’après des tentatives réitérées. Toutes les matières, toutes les substances ont été essayées et façonnées par l’homme pour en tirer des sons musicaux, éclatans ou graves, très opposés ou très proches, mais susceptibles d’être associés et de se fondre dans un ensemble harmonieux. Il n’a pas fallu moins d’efforts pour arriver à une notation simple et rationnelle des sons, des mouvemens, du rythme et des nuances infinies qu’ils peuvent comporter et que l’exécutant arrive à lire couramment, d’un regard, sur le cahier placé en face de lui. Pour se conformer exactement à ces indications, pour les réaliser en perfection, cet artiste a dû s’approprier lui-même tous les progrès accomplis par ses devanciers. Il a profité des méthodes imaginées par eux pour faciliter son apprentissage, et, quelles que fussent ses dispositions natives, cet apprentissage a été long et laborieux. Ce n’est qu’au prix d’exercices opiniâtres, commencés dès l’enfance, poursuivis régulièrement chaque jour, qu’il a pu acquérir et qu’il peut conserver une précision, une sûreté de mouvemens, une subtilité de perception, une finesse d’oreille et une promptitude de vue qui tiennent vraiment du prodige. Toutes ces qualités que par un régime d’entraînement adapté à sa nature il a su développer en lui, il faut qu’il les mette au service de la pensée du compositeur, avec le goût que donne un long commerce des chefs-d’œuvre, avec la connaissance du style de chacun d’eux et de l’interprétation spéciale qui lui convient. Mais cet artiste n’est pas seul. A ses côtés d’autres ont pris place qui, par des études pareilles, sont parvenus à une habileté égale. Groupés dans des proportions et un ordre définis, ils se sont, comme lui, préparés à exprimer la pensée du maître, assouplis à leur tâche par de nombreuses répétitions qui ont permis d’arrêter le sens de chacune des parties et d’en nuancer les effets de manière à faire pénétrer la vie jusque dans les moindres détails, tout en respectant le caractère même de